Les néonicotinoïdes, seuls coupables du déclin des abeilles ?

Une dérogation pourrait autoriser l’utilisation des néonicotinoïdes, interdits depuis 2018, pour contrer une attaque parasitaire massive des cultures de betterave. Les associations environnementales fustigent ces pesticides "tueurs d’abeilles". Les explications de Frédéric Denhez.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

L’abeille est devenue le symbole d'une biodiversité qui continue de chuter, en particulier celle qu’on voit peu, les insectes. Les abeilles sont au nombre de mille espèces… pour une seule qui produit du miel, l’abeille domestique.

Le "syndrome d'effondrement des colonies"

En près de 40 ans, le taux de mortalité annuel des abeilles domestiques dans les ruches est passé de 5 à 30, voire 40 %…C’est ce que les spécialistes appellent le "syndrome d'effondrement des colonies". L’implication des néonicotinoïdes dans la disparition des abeilles a été évoqué dès le début des années 1990 et démontré dès le début des années 2000. 

Les néonicotinoïdes sont une famille de pesticides très efficaces mis au point dans les années 80 et utilisés massivement dès les années 90. Ils agissent sur le système nerveux des insectes  et se fixent sur les "récepteurs nicotiniques" des cellules nerveuses, qu’ils bloquent.
L'acétylcholine, un neurotransmetteur sans lequel il ne peut y avoir de mouvement et, qui est impliqué dans la mémoire, ne circule plus. L’abeille ne maîtrise plus ses mouvements, elle tremble, elle a du mal à butiner, à retrouver la ruche, à "danser", elle perd la mémoire des fleurs qu’elle butine et à forte dose, elle meurt, paralysée. 

Agriculture intensive, engrais et pesticides

Les abeilles ont avant tout faim, parce qu’il n’y a plus assez de fleurs et parce que les paysages ruraux ont été en grande partie transformés en immenses parcelles uniformes plantées de monocultures. Ces parcelles fleurissent une fois par an pendant juste trois semaines. 

Le Magazine Science l’avait démontré il y a déjà six ans, en remarquant que le déclin des abeilles, en Grande-Bretagne, a commencé dès les années 1880 ! Les choses sont à peu près les mêmes chez nous.

Il a été le plus important entre  1930 et  1960. Deux périodes au cours desquelles l'agriculture a été intensifiée, par la transformation des paysages et l’usage massif d’engrais qui a profondément modifié la diversité floristique. Les pesticides se sont ajoutés à cela. 

Les abeilles sont donc en carence alimentaire, c’est le problème essentiel.

Parasites...

Il y a aussi des parasites qui s’attaquent aux abeilles et aux larves comme le varroa, cet acarien qui ressemble à un petit crabe. Originaire d’Asie, il a conquis la planète et il est à l’origine de pertes très importantes en apiculture. Il se comporte tel une tique. Le varroa suce le sang, l’hémolymphe des abeilles, ce fluide jouant le rôle du sang chez les invertébrés. Ce qui lui permet de transmettre ses virus, lesquels font trembler les abeilles. 

et brassage génétique

Il y a enfin certaines pratiques des apiculteurs également responsables. Quand les abeilles ont commencé à tourner de l’œil, dans les années 1990, en partie à cause d’un insecticide appelé Gaucho, riche en néonicotinoïdes, les apiculteurs ont importé massivement des abeilles venues d’ailleurs, d’Italie notamment. 

Ils ont bien fait car sans cela, il n’y aurait sans doute plus aujourd’hui d’abeilles domestiques en France. 

Cela a été une victoire chèrement acquise car les reines importées, provenant de pays chauds (Italie, Grèce), n’étaient pas bien adaptées à nos climats et il y a eu de la casse. Leur reproduction a ensuite engendré un brassage génétique qui a "pollué" les races rustiques françaises. 

Une pollution ou "dérive", qui a, en quelque sorte, dilué les bons gênes de résistance, et ainsi affaibli les capacités de l’abeille domestique qui a du répondre au stress et à l'exposition aux produits chimiques.  

Des abeilles domestiques "gavées"

Beaucoup ont faim, parce qu’il n’y a plus assez de fleurs et donc de nectar que mangent les abeilles. Les reines importées pondent au début de l’année, alors qu’il n’y a pas encore beaucoup de fleurs, les ouvrières fraichement écloses sont de plus en plus souvent nourries par les apiculteurs … au sucre. 

Du glucose à l’automne, du saccharose au printemps. Comme le disent les chercheurs, c’est un peu tabou, "Il y a des abeilles en France qui ne font plus que transformer du sucre en miel". 

En gavant ainsi les abeilles, on assure certes la survie de beaucoup d’ouvrières, mais on empêche aussi la sélection naturelle d’éliminer les plus fragiles, les moins adaptées aux stress qui menacent l’abeille domestique. 

Si les néonicotinoïdes sont bien des cochonneries à interdire, ils sont aussi et surtout l’arbre qui révèle la forêt de notre modèle de production agricole, qui a aussi fait des abeilles, un bétail très fragile. 

L'abeille domestique a été transformée en machine à faire du miel, la reine des abeilles en machine à pondre, comme on a transformé la vache Prim-Holstein en machine à faire du lait, et le sol en machine à faire de la betterave. 

Que faire pour sauver les abeilles ? 

Il est nécessaire d’interdire les néonicotinoïdes. Il faut cependant laisser le temps aux alternatives de démontrer qu’elles ne sont pas pires, comme la deltaméthrine, un produit anti-pucerons, pire que tout. 

Selon l’Anses, il existe des alternatives non chimiques dans 80 % des cas, comme la confusion sexuelle (on leurre les mâles en leur promettant une femelle qui n’est en fait qu’une coupelle où ils se noient) par exemple, ou l’utilisation de prédateurs naturels (la coccinelle). 

La réponse c'est l’agroécologie, la conservation des sols, le bio, les haies, les prairies etc. Il faut des fleurs, des mauvaises herbes, il faut des arbustes, et des parcelles assez petites pour que les cocinnelles puissent aller manger les pucerons. Le changement est en cours, il prendra du temps, cela demandera de la formation, de l’argent et une petite révolution culturelle.

Les néonicotinoïdes sont une habitude, une sorte de paresseuse assurance-récolte chimique parce qu’en France les agriculteurs assurent peu financièrement leurs récoltes. C’est cher et compliqué mais il faudrait peut-être les aider. Cette piste de réflexion permettrait aux agriculteurs de réserver ces traitements en dernier recours, ou en préventif.