Affaire Urgo : tout comprendre sur le système des cadeaux aux pharmaciens

Environ 8 000 pharmaciens ont reçu régulièrement des cadeaux du groupe Urgo pour les encourager à renoncer à une remise commerciale. On vous décrypte cette pratique interdite par la loi "anti-cadeaux".

Charlotte Rothéa
Rédigé le
Les cadeaux embarrassants du laboratoire Urgo
Les cadeaux embarrassants du laboratoire Urgo  —  Le Mag de la Santé - France 5

Dans sa pharmacie, Pierre-Olivier Variot ne s’occupe pas que de la santé de ses clients. Il prend aussi soin de la santé économique de son officine. Pour cela, il entretient des relations commerciales avec ses fournisseurs, les laboratoires.

20 000 euros de cadeaux

En tant que commerçant, il négocie pour acheter moins cher, avec des remises. "On se sert de cette remise pour en partie améliorer la marge de l'officine, c'est vrai. Mais surtout, la très grosse partie de la remise va pour baisser le prix, pour que ce soit plus accessible pour le patient", explique Pierre-Olivier Variot, pharmacien et président de l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine.

Ce sont ces remises qui sont au cœur de l’affaire Urgo, du nom de ce laboratoire qui fabrique notamment des pansements et des compresses. Le scandale a même éclaboussé l'ancienne ministre de la Santé et pharmacienne Agnès Firmin Le Bodo. Elle aurait bénéficié de 20 000 euros de cadeaux de la part d'Urgo, via un système d’abandon de remise, que connaît bien ce pharmacien.

40 % de la profession a accepté ces cadeaux

"Le laboratoire laissait la possibilité aux pharmaciens de dire « je prends la remise sur facture donc je vais payer 2 000 € de moins ma commande ou alors je transforme ces 2 000 € en objets qui pouvaient être personnels ou pour la pharmacie pour un même montant » ", précise Pierre-Olivier Variot.

8 000 pharmaciens, soit 40 % de la profession, auraient ainsi accepté ces "cadeaux matériels". Ce pharmacien dit avoir toujours refusé ces pratiques qu’il considérait opaques. 

Des déclarations obligatoires mais peu vérifiées

Mais en tant que syndicaliste, il défend ses confrères par l’exemple. "Je passe ma commande Urgo, j'ai 1 000 € de remise. Le commercial me dit si vous voulez, à la place des 1 000 €, je vous donne un iPhone. Que ce soit donné par le laboratoire en abandon de remise avec une traçabilité comptable et fiscale ou que je fasse un chèque pour aller m'acheter l'iPhone, parce que c'est un outil qui me sert pour la pharmacie, pour les gardes par exemple, ce n'est pas un problème. Après, là où ça devient un souci, c'est quand c'était pour soi et que pour soi ça n'a pas été déclaré", analyse Pierre-Olivier Variot.

Les professionnels de santé sont en effet tenus de déclarer, sur le site Transparence Santé créé par le gouvernement, les conventions, les rémunérations et les avantages qui les lient à des entreprises. Mais ces déclarations ne seraient pas suffisamment vérifiées et pas par les bons organismes, selon l’association Formindep, qui veille à l’indépendance des professionnels de santé.

Un an de prison et 75 000 euros d’amende

"La loi a donné en particulier aux Ordres, un droit de regard d'information sur les relations entre le professionnel de santé et l'industriel" explique le Dr Jean-Benoit Chenique, médecin généraliste et membre de l'association Formindep. "Mais l'Ordre aussi est juge et partie, parce que le rôle de l'Ordre est quand même de protéger la profession. Donc il faut un organisme qui vérifie les déclarations d'après des critères qui ont été définis par le législateur, parce que s'il y a un organisme de contrôle qui doit être créé, c'est forcément le législateur qui doit faire son travail", poursuit-il.

L’Ordre des pharmaciens n’a pour l'heure pas répondu à nos questions. Les professionnels mis en cause dans l’affaire Urgo s'exposent à un an d’emprisonnement, et jusqu’à 75 000 euros d’amende.