L'hélium, un gaz qui nous échappe

L'hélium ne sert pas qu'à gonfler des ballons et à parler avec une voix rigolote quand on l'inhale. Il sert aussi à des choses bien plus sérieuses, entre autres à la recherche scientifique et à la construction de matériel médical. Mais soumis à des contraintes de production et de distribution complexes, il fait aujourd'hui défaut aux chercheurs.

Héloïse Rambert
Rédigé le
L'hélium, un gaz qui nous échappe

Le Pr. Oleg Kirichek est énervé. A la tête d'un programme de recherche destiné à explorer la structure de la matière, ce scientifique de l'ISIS, au Royaume-Uni, a dû annuler une expérience qu'il avait prévue. Tout ça parce qu'il n'avait plus d'hélium à portée de main.

L'hélium, gaz à tout faire

L'hélium 4 est un gaz aux propriétés chimiques extraordinaires : neutre et propre, il ne réagit pas avec d'autres produits chimiques et ne provoque pas d'oxydation. Et sa forme liquide est la plus froide qui existe. "L'hélium 4 est utilisé dans de nombreux domaines pour atteindre de très basses températures, jusqu'à -270 °C", déclare Christian Gianese, ingénieur de recherche au CNRS et responsable du centre de liquéfaction de l'hélium à l'Institut Néel de Grenoble.

Par chance, il est naturellement présent dans la nature, dans les nappes de gaz naturel, dont certaines peuvent contenir jusqu'à 2 % d'hélium. Il est présent surtout aux Etats-Unis, qui en est le premier producteur mondial, mais aussi en Algérie, ou au Qatar. Et à moindre échelle dans les pays d'Europe de l'Est. Une fois récupéré sous forme gazeuse, parallèlement à la production du gaz naturel, il est transformé en liquide sur place, dans des usines dédiées. Puis il est transporté sur les sites qui en ont besoin. Et ils sont nombreux à en avoir besoin... "Ce sont les industries électroniques qui sont les plus gourmandes en hélium. Il est aussi utilisé pour les lanceurs de fusées spatiales ou les ballons dirigeables", explique Christian Gianese.

Mais les domaines scientifiques et médicaux dépendent aussi beaucoup du précieux liquide, dont les propriétés cryogéniques sont très exploitées. 15 % de l'hélium liquide produit servent en effet à refroidir les bobines des IRM, utilisés quotidiennement dans les hôpitaux. Et quelques 2 % sont utilisés dans la recherche fondamentale, pour, par exemple, étudier la matière. "Les atomes et les molécules s'agitent, et plus on les chauffe, plus ils bougent. Sans parvenir à les figer totalement, l'utilisation de l'hélium liquide permet de réduire leur vibration et ainsi faciliter l'étude de leur structure", indique Christian Gianese.

Un gaz qui se fait rare…

Oui mais voilà, il y a pénurie d'hélium. Ce n'est pas faute d'en trouver dans les nappes de gaz naturel. "De ce côté, nous ne nous faisons pas de souci", dit l'ingénieur. "Nous trouvons régulièrement de nouvelles sources d'approvisionnement". C'est au niveau de la transformation du gaz en liquide que le bât blesse, et ce pour une raison simple : "Les usines de production sont au maximum de leur capacité. Mais la construction de deux grosses usines sont annoncées : une aux Etats-Unis et une autre au Qatar. Tout le monde mise beaucoup sur elles."

Le problème de la production de l'hélium est complexe et multifactoriel. "En Europe, nous sommes particulièrement touchés par la pénurie", explique Christian Gianèse. "L'Algérie est notre principal fournisseur. Hors, les États-Unis utilisent de plus en plus le gaz de schiste sur leur territoire. Ils achètent donc moins de gaz naturel à l'Algérie, qui en réponse a freiné sa production. Elle produit aussi moins d'hélium, puisque les deux productions sont complètement liées".

…Et des besoins croissants

A cette production difficile, s'ajoutent des demandes en hélium qui explosent dans les pays asiatiques, qui s'industrialisent à toute allure. Et nous-mêmes, en Europe, produisons de plus en plus d'appareils à IRM…

Résultat, la recherche pâtit de cette raréfaction du liquide. "Ce manque d'hélium 4 est très gênant pour la recherche fondamentale", déplore Christian Gianese. "A chaque fois qu'il faut fabriquer un appareil qui nécessite l'utilisation de très basses températures, le problème se pose."

Il existe une deuxième forme d'hélium, l'hélium 3, qui peut également être utilisé, d'autant qu'il présente des propriétés cryogéniques plus marquées encore. "Il s'agit d'un isotope de l'hélium naturel, c'est-à-dire une forme à laquelle on a retiré une particule". Mais contrairement à l'hélium 4, l'hélium 3 ne se trouve pas naturellement dans l'environnement, il s'agit en effet d'un produit dérivé de l'armement nucléaire, d'un résidu dans la chaîne de production des... bombes atomiques. Autant dire qu'il est - heureusement - devenu difficile de se procurer cette forme d'hélium.

Ce gaz reste cependant très utilisé dans les aéroports américains pour détecter les produits radioactifs, notamment depuis les attentats de 2001. Les Etats-Unis se réservent donc tous les stocks d'hélium 3 dont ils disposent et son prix a explosé. Dire "qu'à la fin des années 80, nous ne savions pas quoi en faire, à tel point qu'il était rejeté dans l'environnement"... précise Christian Gianese. Et quand on sait que pendant des années les petits Américains ont allègrement gaspillé l'hélium pour gonfler leurs ballons d'anniversaire, la situation semble assez absurde…L’hélium est non renouvelable et irremplaçable. Contrairement aux hydrocarbures, il n'existe pas d'alternatives biosynthétiques à ce gaz. Les recherches doivent se porter sur toutes les alternatives possibles à son utilisation qui permettraient de diminuer la demande.

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