Féminicides : les femmes seniors, les grandes oubliées

Les violences conjugales et les féminicides à l’égard des seniors est un sujet passé sous silence. Pourtant ces actes à l’égard des femmes âgées sont fréquents.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

C'est un peu le tabou dans le tabou, car dans l’imaginaire collectif, c’est déjà difficile d’imaginer des violences conjugales, alors à l’encontre de personnes âgées, c'est pire. Les violences conjugales touchent principalement des femmes jeunes avec des enfants en bas âge.

Mais il ne faut pas croire que les violences s’arrêtent ou diminuent avec l’âge.

Depuis le début de l’année, selon le collectif "Féminicides par compagnon ou ex", on compte 136 féminicides. Parmi ces 136 victimes, 37 ont plus de 60 ans. Soit un peu moins d’un quart, c’est une part très importante. Certaines sont même très âgées comme cette femme de 92 ans morte sous les coups de son mari de 94 ans début septembre.

Il existe très peu d’études ou de statistiques sur les violences conjugales chez les seniors. On recense 219 000 femmes victimes de violences conjugales en moyenne chaque année. Ce chiffre prend en compte les femmes âgées de 18 à 75 ans, au-delà on n’a pas de données.

Des femmes victimes oubliées des violences conjugales

Il y a plusieurs raisons à cet oubli. Les seniors victimes de violences conjugales sont souvent isolées avec peu de vie sociale. Elles n’ont pas d’espace et de personnes à qui parler.

  • Ce sont des personnes à la retraite, donc qui n’ont pas de collègues qui pourraient éventuellement se rendre compte de quelque chose et libérer la parole.
  • Elles sont en-dehors des réseaux associatifs.
  • Passé un certain âge, on ne va pas forcément régulièrement chez le médecin, encore moins chez un gynécologue. Alors que les professionnels de santé peuvent repérer, détecter les violences conjugales et permettre d’ouvrir le dialogue.
  • Même si on se rend chez son médecin généraliste, lui-même compte-tenu de l’âge de sa patiente ne va pas forcément envisager que sa patiente est victime de violences conjugales. Pour les médecins aussi les violences conjugales chez les seniors sont peu et mal connues.

Des femmes isolées dépendantes de leur conjoint violent

  • Ce mari ou conjoint, elles en sont dépendantes, de nombreuses femmes de plus de 60-70 ans n’ont pas ou peu travaillé. Ou alors elles ont travaillé avec leur mari et sont dépendantes financièrement. Cette fragilité matérielle crée une dépendance à l’égard du conjoint violent, qu’on peut difficilement quitter.
  • Dans les couples âgés, les femmes victimes de violences conjugales sont souvent victimes depuis des années parfois des dizaines d’années. Ces violences sont très ancrées, les femmes ont appris à vivre avec, donc c’est très difficile de sortir de cette emprise. Beaucoup de femmes qui ont aujourd’hui plus de 60-70 ans ont reçu une éducation traditionnelle, patriarcale, et l’institution que représente le mariage est très importante. On ne quitte pas son mari.

La maladie peut entrer en compte et minimiser ces violences

C'est un élément vraiment très spécifique aux personnes âgées. Avec l’âge et la maladie, une relation aidant-aidé peut s’installer dans un couple. Ce n’est jamais simple mais être l’aidant est beaucoup plus difficile à vivre pour les hommes, souvent dépassés par ce rôle. Il y a dans les féminicides recensés cette année plusieurs cas d’hommes qui étaient les aidants de leur épouse malade. On minimise l’acte, comme si c’était moins grave, plus excusable. Le mari est vu comme un libérateur qui va abréger les souffrances de son épouse malade, alors qu’en fait on est dans un cadre de violences conjugales et de féminicide. Les violences étaient déjà là avant la maladie.

D’ailleurs l’inverse n’est pas vrai. Il y a très peu de femmes aidantes qui tuent leur conjoint malade.

Les femmes âgées oubliées du Grenelle

Ces femmes seniors victimes de violences conjugales échappent aux statistiques et elles sont difficilement repérées, détectées, par les professionnels de santé.

Ce sont donc des victimes invisibles et du coup elles sont tout simplement oubliées des campagnes de prévention et de sensibilisation sur les violences conjugales.

C’est encore le cas avec le Grenelle. Pour l’instant rien n’est annoncé pour ces femmes seniors, aucune mesure spécifique. Ce que déplorent évidemment plusieurs associations. Or il faudrait une prévention et une prise en charge spécifiques. Il y a des pistes, par exemple :

  • Une meilleure formation des soignants, notamment ceux qui interviennent à domicile, pour les repérer.
  • Des maisons d’hébergement adaptées pour recevoir des femmes en perte d’autonomie.