Urgentistes en arrêt maladie : "le service souffre d’un réel problème d’organisation"

Le personnel en grève devant assurer la nuit du 3 au 4 juin 2019 aux urgences de l’hôpital Lariboisière s’est mis en arrêt maladie. Une situation "à part" dans le mouvement social actuel, selon le médecin urgentiste Mathias Wargon.

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le , mis à jour le
Urgentistes en arrêt maladie : "le service souffre d’un réel problème d’organisation"
Crédits Photo : Wikimedia Commons / © Mbzt

Situation de crise à l’hôpital Lariboisière ? Après presque trois mois de grève pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail, le personnel des urgences de cet hôpital parisien s’est mis en arrêt maladie dans la nuit du lundi 3 au mardi 4 juin 2019.

Le personnel de nuit n’était donc pas présent dans l’hôpital et c’est le personnel de jour qui a été réquisitionné pour assurer cette garde. Selon les informations du docteur Mathias Wargon, médecin urgentiste et chef du service des urgences à l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis (93), le personnel présent dans la journée du 3 juin aurait prolongé son service "jusqu’à 22 heures environ" et "l’hôpital aurait ensuite réquisitionné du personnel du jour qui n’avait pas travaillé le 3 juin pour assurer la garde de nuit".

A lire aussi : Grève aux urgences parisiennes : "La colère et le ras-le-bol sont énormes"

"Les autres équipes en pâtissent forcément"

Dans le service du docteur Wargon, pas de grève, malgré "un personnel extrêmement syndiqué". Il ajoute : "Ici nous souffrons plus d’un problème de recrutement que d’un problème de financement." Ce qui les différencie des hôpitaux en grève ? "Une bonne organisation" selon le médecin, qui considère que l’hôpital Lariboisière est une situation à part : " il y a eu le décès aux urgences en décembre dernier, la réalisation d’un audit interne… tout n’a probablement pas été mis sur la table. Le service souffre d’un réel problème d’organisation et de gestion, avec des files d’attente déversées le soir dans les urgences."

"Le seul moyen de se faire entendre"

Mais pourquoi les grévistes ont-ils opté pour l’arrêt maladie ? Parce qu’aux urgences, être en grève signifie travailler malgré tout, en portant un brassard "en grève". Les conséquences sont donc bien plus visibles si le personnel est en arrêt. "Je n’approuve pas cette action", nous confie le docteur Wargon. "Je ne sais pas si leur grief est fondé ou non parce que je n’ai pas de vision claire de la situation. Ce que je sais, c’est qu’en se mettant en arrêt, on met les autres équipes dans la panade car elles en pâtissent forcément."

Un avis que partage la ministre de la Santé Agnès Buzyn qui a réagi ce matin au micro de France Inter. Elle a déclaré : "c'est dévoyer ce qu'est un arrêt maladie. [...] Je pense que ce n'est pas bien, ça entraîne une surcharge de travail pour les autres." Mais pour le docteur Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et délégué CGT interrogé par l'AFP, "c'est parfois le seul moyen de se faire entendre" pour des soignants "épuisés".

Des contextes différents à Paris et en régions ?

La mise en arrêt maladie du personnel de l’hôpital Lariboisière n’est pas sans rappeler celle du Centre hospitalier de Lons-le-Saunier, dans le Jura. "Presque tout le personnel y est en arrêt maladie" raconte le docteur Wargon. Et le préfet réquisitionne des professionnels de santé pour garantir tout de même l’accès aux soins d'urgences dans cet établissement.

Une situation qui "scandalise" Mathias Wargon : "nous assistons ici à une rupture complète de dialogue entre la direction et les urgences." Selon ce médecin urgentiste, "le préfet met de l’huile sur le feu". Il ajoute : "personnellement, si j’avais été réquisitionné de cette manière, je me serais posté devant l’hôpital, j’aurais croisé les bras et je n’aurais reçu que les patients très graves."

Mais pour le docteur Wargon, la situation dans les centres hospitaliers de régions ne doit pas être confondue avec celle de l’AP-HP : "En province, les hôpitaux souffrent d’un sous-effectif massif et d’un problème d’accès aux soins pour de trop nombreux patients" analyse-t-il. Mais dans les établissements de l’AP-HP, "je pense personnellement que le mouvement de grève est un prétexte pour une guerre entre les différents syndicats".

Dans tous les cas, "il est vrai que le système de santé est à bout et qu’on a trop longtemps compté sur les urgences pour palier tous les autres problèmes de santé. Malheureusement, certaines personnes utilisent le malaise qui agite constamment les urgences pour leur propre agenda", déplore enfin le docteur Wargon.

A travers la France, une cinquantaine de services d’urgences est actuellement en grève, selon la ministre de la Santé. Ces services réclament l'arrêt des fermetures de lits, une hausse des rémunérations de 300 euros net et une augmentation des effectifs. Une manifestation nationale est prévue à Paris ce jeudi 6 juin.