TRIBUNE. Hôpitaux et services d'urgence : la proximité oubliée ?

François Hollande a un nouveau grand projet pour l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) (...) Lire la suite de la tribune du Dr Gérald Kierzek, médecin urgentiste...

Dr Gérald Kierzek
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TRIBUNE. Hôpitaux et services d'urgence : la proximité oubliée ?

Le président de la République vient d'annoncer la création d’un grand hôpital pour le nord du Grand Paris. A la clé, la suppression des hôpitaux Bichat (18è) et Beaujon (Clichy) et leur regroupement en un seul établissement, "adossé à un campus avec une double dimension universitaire et de recherche", mais repoussé en dehors de Paris.

Ce projet illustre bien la tendance à l’œuvre chez les décideurs de santé publique : la quête de grandeur et la conviction qu’il faut "rationaliser" pour mieux soigner. Cette course effrénée vers toujours plus de concentration n’est pourtant ni synonyme d’économies, ni synonyme de qualité des soins.

Exemples. Economiquement, l’hôpital d’Evry (110.000 m2, 1000 lits, 20 blocs opératoires,…), construit en partenariat public-privé, s’est avéré un gouffre colossal avec une redevance de 40 millions d’euros par an à payer pendant trente ans. L’annonce récente de la construction de l’hôpital de Nantes, pour un milliard d’euros, va dans le même sens avec une architecture en marguerite autour d'un plateau technique colossal (imagerie, blocs opératoires, etc.), pour soi-disant rationaliser l'utilisation des moyens coûteux avec au passage moins de lits d'hospitalisation.

Médicalement, l’hôpital public devient un mastodonte ultraspécialisé, souvent déshumanisé, sous couvert de regroupements, de recherche et d’université. Mais la population a aussi besoin d’hôpitaux à taille humaine, généralistes et de proximité. Selon les résultats d’un récent sondage "L'hôpital et la société", réalisé par Harris Interactive pour Pfizer, la recherche n’est pas la priorité des usagers de l’hôpital.

L'Hôtel-Dieu de Paris : un exemple de proximité à préserver et à développer

Marisol Touraine a mis un coup d’arrêt (temporaire ?) à la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu, prévue le 4 novembre prochain. La ministre de la Santé a peut-être compris qu’elle ne pouvait, sans conséquences, continuer à restructurer en fermant. La fermeture d’un service d’urgences comptant 45.000 passages par an (soit 130 par jour) serait d’ailleurs une première en France et un signal extrêmement négatif pour l’hôpital public.

Cet hôpital, situé sur l’île de la Cité en plein cœur de la Capitale, est un lieu d’accueil de proximité pour les 13 millions de personnes qui foulent le parvis de Notre-Dame chaque année, les 400.000 habitants des neuf premiers arrondissements de Paris et les quelque 750.000 voyageurs des transports en commun de la gare Châtelet-Les Halles toute proche.

L’Hôtel-Dieu est l’exemple même de la proximité et de l’excellence avec ses urgences, ses lits d’hospitalisation généralistes et spécialisés (médecine interne, psychiatrie,…), un plateau technique de radiologie (scanner, IRM,…) et un service de pointe en ophtalmologie médicale et chirurgicale.

Pour réduire les temps d’attente aux urgences, qui dépassent largement les limites de l’acceptable, il faut non pas supprimer des services d’urgence mais leur redonner aussi des lits d’hospitalisation (la raison de l’engorgement n’est pas un afflux de "faux malades").

Proximité et excellence

Les pôles dits "d’excellence", à la réputation mondiale, ne doivent pas faire oublier la mission d’hôpital généraliste de proximité. L’évolution de l’hôpital public ces trente dernières années a été caractérisée par une hyperspécialisation des services et une très forte réduction globale du nombre de lits.

Si cette situation est en partie liée au "progrès médical" (évolution des techniques, des prises en charge…), elle a atteint aujourd’hui ses limites car :

  • Le vieillissement de la population nécessite des services capables d’accueillir les patients âgés polypathologiques. Or, les services ultraspécialisés par organe (cardiologie, pneumologie,..) n’ont pas cette vocation ni la capacité.
  • Le mode de financement de l’hôpital avec la tarification à l’activité (T2A) pousse à une sélection des patients rentables (ce qui n’est pas le cas des patients tout-venant des urgences par ex.).

Remplacer les coûteuses usines à malades

Les fermetures de services ou d’hôpitaux nous ont fait atteindre un seuil en-dessous duquel il ne faut pas descendre : les patients attendent un lit pendant des heures sur un brancard, les sorties sont prématurées pour libérer la place pour les nouveaux entrants dans un fonctionnement en flux plus que tendu dangereux pour les malades et épuisant pour les personnels.

La surcharge des urgences est largement liée aux difficultés d’hospitalisation (manque de lits de médecine interne polyvalente) et est un facteur de surmortalité. Des services entiers d’hospitalisation pourraient être reconvertis aisément en service de médecine par exemple pour l’aval des urgences. La proximité est un gage d’humanité plutôt que d’hospitaliser en périphérie.

La chirurgie, notamment ambulatoire, pour les interventions les plus courantes n’est plus assurée par l’hôpital public. Là encore, la proximité et la localisation au cœur de tous les transports est déterminante pour l’accès des patients et la sécurité des soins (contre-indication à la conduite d’un véhicule à la sortie d’une intervention en ambulatoire).

Enfin, les maternités de niveau 1 pour les accouchements "simples" disparaissent dans le service public entraînant une surcharge dramatique des maternités de niveau 3, qualifiées d’usines à bébés par les mères.

Gageons que le projet global pour la stratégie nationale de santé élaboré par le comité des "Sages" sache écouter les soignants et préconise de ne pas sacrifier l’offre de soins au profit de projets pharaoniques qui ne résisteront pas au temps : les écouter c’est aussi écouter les malades.