Pharma papers : des députés médecins sous influence ?

Après les révélations de l'enquête "Implant Files", une nouvelle enquête intitulée "Pharma papers" s'intéresse aux lobbies pharmaceutiques, et notamment aux liens d'intérêts entre labos et députés médecins.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Contrairement aux "Panama Papers", les journalistes qui ont réalisé cette enquête baptisée "Pharma papers" n'ont récupéré aucun document secret. Ils ont mené une enquête sur l'industrie pharmaceutique. Si elle ne contient pas de grandes révélations, il y a même parfois des conclusions hâtives, cette enquête compile des informations qui permettent un éclairage intéressant.

Les journalistes se sont notamment intéressés aux députés médecins qui ont une double particularité. Ils ont tout d'abord une grande influence sur leur collègues députés sur les questions de santé car c'est un domaine technique. Enfin, les députés médecins sont une cible privilégiée des lobbies pharmaceutiques, qui sont très présents à l'Assemblée. Il s'agit même du deuxième lobby le plus présent selon la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Des députés médecins dans le collimateur

Les médecins sont 25 dans l'hémicycle (4,3% des députés). Ils sont en revanche surreprésentés dans la commission des affaires sociales, dont ils occupent 19% des sièges. Et surtout, ils y trustent une grande partie des postes clés. Le neurologue Olivier Véran (LREM) en est le rapporteur général, le cardiologue Jean-Pierre Door (LR), élu depuis 2002 à la commission des affaires sociales, et la psychiatre Martine Wonner (LREM) en sont les vice-présidents, les médecins Julien Borowczyk (LREM) et Cyrille Isaac-Sibille (Modem) en sont eux les secrétaires.

Cette commission a notamment pour missions d'étudier tous les projets de lois relatifs à la santé et notamment le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Cette loi organise la santé en France pour l'année à venir. On peut considérer ces députés médecins comme des experts en la matière, capables de prendre des décisions éclairées pour l'intérêt général. Mais on peut aussi considérer qu'ils ont des intérêts corporatistes, et donc des intérêts personnels sur des questions de santé. On frôle alors dans ce cas le conflit d'intérêts...

Les députés médecins votent-ils sous influence ?

Les auteurs des "Pharma papers" ont scruté les liens d'intérêts de ces députés-médecins à la loupe. Ils ont compilé les liens d'intérêts qu'ils avaient avec l'industrie pharmaceutique ces six dernières années à partir du site Transparence.sante.gouv.fr. Résultats : Stéphanie Rist (LREM) déclare 309 liens d'intérêts pour un montant de 40.196 euros. Jean-François Eliaou (LREM) déclare 9.395 euros, un peu plus de 6.000 pour Ali Ramlati, etc. Stéphanie Rist n'a pas reçu un chèque de 40.000 euros, il s'agit de défraiements liés à des formations qu'elle a donné durant ces six années.

La plupart de ces liens d'intérêts s'arrêtent à partir de moment où ils ont été élus en 2017 car ils ont arrêté l'exercice de la médecine. Stéphanie Rist, contactée par nos soins, ne rencontre plus de labos mais continue malgré tout à être sollicitée par mails. Face au tollé suscité au début de son mandat, elle a décidé de ne plus intervenir en tant que député sur les questions de médicaments pour ne pas être en défaut. Idem pour Jean-François Eliau, qui a lui-même décidé de refuser la commission des affaires sociales et préféré la commission des lois pour éviter toute accusation.

Mais tous les députés médecins n'adoptent pas ce comportement. Par exemple, Jean-Pierre Door ou encore Olivier Véran ont rencontré des labos pendant leur mandat. Le but des laboratoires n'est pas d'influencer les prescriptions des médecins mais leurs votes à l'Assemblée. Et ces médecins sont plutôt sollicités à l'automne, une période où l'on vote le PLFSS. Coïncidence ou pas ? Dans le dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale, les députés ont voté un article qui oblige les médecins à se justifier s'ils refusent les génériques pour leurs patients. Sans justification, leurs patients seront moins bien remboursés. Le but étant de faire des économies. Jean-Pierre Door s'y est opposé en déposant un amendement. Hormis les labos, dans le milieu médical, plus personne ne conteste le fait de devoir augmenter la part des génériques. Selon les Pharma papers, Jean-Pierre Door aurait cédé aux lobbies.

Conflits d'intérêts : une loi trop facile à contourner

Parfois, les labos rusent pour avoir accès aux médecins députés et échapper aux règles de transparence. En 2017, Olivier Véran a réalisé une allocution à l'occasion d'une table ronde organisée par le cabinet de lobbying M&M Conseil, mais financée par l'industrie pharmaceutique. On ne trouve aucune trace de cet évènement dans la base Transparence Santé car M&M Conseil fait office de société écran. Et contrairement aux laboratoires, elle n'est pas soumise à l'obligation de déclarer les invitations des professionnels de santé.

Cette stratégie de contournement était déjà dénoncée en mars 2016 dans un rapport de la Cour des comptes sur la prévention des conflits d'intérêts en matière d'expertise sanitaire : "Des entreprises prestataires de service s'interposent pour l'organisation des manifestations, ce qui introduit un écran supplémentaire et rend plus complexe la recherche de preuves de cadeau illicite", déploraient les sages de la rue Cambon.