Consultations privées à l'hôpital : des pratiques abusives ?

DÉCRYPTAGE - Concernant les dépassements d'honoraires pratiqués par certains médecins à l'hôpital, le CISS et 60 millions de consommateurs ont récemment publié une enquête pour comparer les tarifs dans les hôpitaux et les cliniques privées. Et les résultats sont surprenants... Les explications avec Maroussia Renard, chroniqueuse spécialisée en économie.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Avoir une activité privée à l'hôpital public n'est pas illégal. Cela est autorisé depuis plus de 50 ans pour tous les médecins qui exercent à temps plein. La seule exception concerne tout ce qui touche au prélèvement et à la greffe d'organes et au recueil ou au traitement des gamètes.

Pour avoir une clientèle privée, les médecins doivent remplir deux conditions : ils ne peuvent pas y consacrer plus de 20% de leur temps de travail (une à deux demi-journées par semaine). Et ils sont obligés de verser une redevance à l'hôpital pour dédommager de l'utilisation des locaux, des équipements et éventuellement de la participation du personnel. Finalement cela concerne peu de médecins hospitaliers. Ils sont 4.579 autorisés à exercer une activité libérale, sur un total de 63.300 médecins salariés des hôpitaux (soit 7%). Sur ce nombre, seuls 1.957 (43%) exercent en secteur 2, c'est-à-dire qu'ils peuvent pratiquer des dépassements d'honoraires. Il s'agit surtout de chirurgiens, de gynécologues-obstétriciens et d'ophtalmologues.

Pourquoi tant de polémiques ?

À l'hôpital, les dépassements d'honoraires sont rares mais quand il y en a, il sont généralement conséquents. Le CISS, une association de patients, et la revue 60 millions de consommateurs ont récemment publié des données inédites sur les tarifs des opérations les plus fréquentes à l'hôpital et en clinique privée et la comparaison a de quoi surprendre. Par exemple, pour la cataracte, si vous êtes opéré à l'hôpital, en libéral, l'intervention vous sera facturée en moyenne 561,70 euros, c'est-à-dire 290 euros de dépassement par rapport au tarif Sécu (271,70 euros). Alors que le tarif moyen observé en clinique est de 483,70 euros, soit un dépassement moyen de 212 euros. Pour d'autres opérations, plus lourdes, la différence peut atteindre plusieurs centaines d'euros. La palme revient à l'ablation de la prostate. En cas de dépassement, cette opération est facturée quatre fois plus cher à l'hôpital public qu'en clinique privée (1.028 euros contre 252 euros).

Quand les patients vont à l'hôpital, ils ne sont pas obligés de choisir la filière "privée". En théorie, ils ont le choix. D'ailleurs le Code de la santé publique dit que le patient doit être clairement informé du coût et des conditions de remboursement des soins, même à l'hôpital. Le problème, c'est que cela n'est pas toujours respecté et même lorsque l'information est donnée, elle n'est pas forcément très claire. Si au moment de prendre rendez-vous par téléphone, on vous parle simplement d'une consultation en "libéral" et que vous n'êtes pas un connaisseur des subtilités tarifaires de notre système de soins, vous pouvez ne vous rendre compte de rien jusqu'au moment où on vous demandera de sortir votre chéquier...

Dans certains hôpitaux, surtout à Paris, le secteur 2 est devenu un coupe-file. En clair, si vous souhaitez vous faire opérer dans la filière classique, il faut compter trois mois d'attente alors que si vous choisissez le privé, l'attente est réduite à trois semaines. Des patients se retrouvent donc captifs de ce système. Cela crée de fait une inégalité d'accès aux soins que certains jugent inacceptable au sein-même de l'hôpital public.

Des dérives dénoncées depuis longtemps

Si ces dérives ont été dénoncées, rien ne change. Pour comprendre, il faut remonter aux origines de ce système qui date de 1958, au moment où ont été créés les CHU, promis à devenir les fleurons de notre système de soins. Mais pour attirer vers le public des médecins qui bénéficiaient d'une autonomie totale et d'honoraires confortables dans le privé, il a fallu trouver un "deal", ce fameux secteur privé... Très rapidement il y a eu des abus et donc des controverses. Quand François Mitterrand est arrivé au pouvoir en 1981, il a promis d'abroger ce système. Finalement, il a été maintenu de manière transitoire puis ré-instauré définitivement en 1986. L'argument étant de dire que si cet avantage était supprimé, les meilleurs médecins partiraient en clinique ou à l'étranger pour gagner plus.

Aujourd'hui, la justification reste exactement la même, sauf que les médecins qui restent à l'hôpital public ne le font pas que pour l'argent. L'hôpital est le seul endroit où on peut à la fois soigner, enseigner et faire de la recherche. Pour beaucoup, cela n'a pas de prix même si la question de la rémunération et des retraites des médecins du public pose question. Une question épineuse même. Preuve en est, les praticiens hospitaliers qui s'engagent à ne pas faire de privé, touchent une indemnité de près de 500 euros par mois.

Quelles sanctions pour les médecins qui abusent du système ?

Il existe des sanctions pour les médecins qui abusent du système. Ces sanctions sont les mêmes que pour tous les médecins de secteur 2. C'est ce que rappelle l'avenant 8 de l'accord conventionnel entre l'Assurance maladie et les syndicats, entré en vigueur en 2013. Le premier problème, c'est qu'aucune limite de dépassement n'a été fixée. La CPAM est chargée d'évaluer le "caractère excessif" de la pratique tarifaire du médecin en fonction de dix critères, qui vont du taux de dépassement moyen à la localisation du lieu d'exercice.

Si la Sécu considère qu'il y a abus, elle envoie une première lettre d'avertissement au praticien. Cela enclenche une procédure très compliquée avec plusieurs instances compétentes et plusieurs recours possibles. Cela prend au minimum sept mois... Les sanctions sont donc rares. En 2014, seules sept sanctions définitives ont été prononcées (surtout des interdictions temporaires de faire des dépassements) ce qui est peu... Mais l'Assurance maladie se défend en disant qu'elle privilégie le dialogue et dans la plupart des cas, le premier courrier d'avertissement suffit. Sur les 170 médecins hospitaliers qui avaient reçu un courrier d'avertissement en 2013, deux tiers ont baissé leur tarifs dans le mois qui a suivi.

Que va faire le gouvernement ?

La lutte contre les dépassements d'honoraires était un des chevaux de bataille du candidat Hollande. Marisol Touraine a même commandé un rapport spécifique sur les dépassements à l'hôpital. Rapport rendu en mars 2014 et immédiatement remisé au placard. Il paraîtrait utopiste de vouloir mettre fin à ce système. Mais il y a sans doute un moyen de mieux l'encadrer. Le CISS fait plusieurs propositions intéressantes dans ce sens. Par exemple, interdire le paiement des honoraires en direct, l'idée étant que si le patient est obligé de passer à la caisse de l'hôpital, il y aurait davantage de contrôle sur le montant exact des dépassements facturés.

Le CISS réclame aussi de revoir à la baisse les 20% du temps de travail qui peuvent être consacrés à l'activité libérale. Concrètement, les médecins hospitaliers ne passent pas toute la semaine à consulter ou à opérer : ils enseignent, font de la recherche et donc dans certains cas, 20% de leur temps de travail, cela représente l'intégralité du temps qu'ils passent à soigner. Pour éviter cela, le CISS propose de calculer les 20% uniquement sur le temps "médical".

Il y a peu de chances pour que ces propositions soient appliquées mais un jour, il faudra se décider à réformer ce système si on veut éviter de se retrouver avec des enclaves réservées aux riches au sein de l'hôpital public.

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