L'allaitement est-il compatible avec la prise de médicaments ?

Pour certaines classes de médicaments, il peut être nécessaire d'anticiper un changement de molécule active, ou de ne pas commencer l'allaitement. Un rapport de l'Académie américaine de pédiatrie (AAP) fait le point sur la question.

Florian Gouthière
Rédigé le
L'allaitement est-il compatible avec la prise de médicaments ?

Seul un petit nombre de médicaments doivent être évités

Selon le dernier rapport de l’Académie américaine de pédiatrie (AAP), "seul un petit nombre de médicaments [devraient] être évités par les mères allaitantes".

Pour de nombreuses spécialités pharmaceutiques, il est en effet établi que les principes actifs ne passent pas dans le lait. Pour d'autres, les doses transmises sont trop faibles pour avoir des effets significatifs sur le nourrisson.

Un petit nombre de médicaments, ainsi que de produits dérivés de plantes, sont cependant à éviter voire à proscrire.

La vigilance est particulièrement de mise durant les premières semaines d'allaitement. En effet, plus l'enfant est jeune, moins son organisme est apte à éliminer un certain nombre de molécules, notamment au niveau de son foie (excrétion dans la bile, avec réabsorption par l'intestin) et de ses reins (élimination par les urines).

Les antalgiques pendant l'allaitement

Ibuprofène et paracétamol sont les antalgiques à privilégier par les femmes allaitantes, selon l'AAP
Ibuprofène et paracétamol sont les antalgiques à privilégier par les femmes allaitantes, selon l'AAP

Selon les données recensées par l'AAP, la codéine transite aisément vers le lait maternel. Or, cette codéine sera transformée en morphine par le métabolisme du nourrisson. Certains individus métabolisant très rapidement la codéine (1), il existe un risque d'exposition rapide de l'organisme à de hautes doses de morphine. Les conséquences peuvent être des apnées, des baisses du rythme cardiaque, une diminution de la teneur du sang en oxygène, voire une inconscience prolongée. La littérature scientifique recense un cas de décès consécutif à la prise de codéine par la mère. L'hydrocodone (Vicodin®), métabolisée par les mêmes voies, présenterait des risques similaires.

Pour des raisons analogues, l'AAP déconseille formellement l'emploi d'oxycodone (nombreux cas de dépression du système nerveux central du nourrisson recensés) et de pentazocine (risques de détresse respiratoire, apnée). La péthidine (Dolantine®, Demerol®) est également suspectée d'être responsable de divers troubles chez l'enfant.

Le célécoxib, le flurbiprofène et le naproxène sont considérés "compatibles avec l'allaitement". Toutefois "un usage prolongé du naproxène n'est pas conseillé", des cas d'hémorragies gastrointestinales ayant été recensés. Peu de données existant concernant les autres anti-inflammatoires non stéroidiens, l'auteur invite à limiter leur emploi "par précaution". Plus généralement, ce type d'anti-inflammatoires est à déconseiller aux mères allaitant des nourrissons souffrant de certaines pathologies cardiaques.

Aucune donnée n’existe actuellement sur les risques éventuellement associés au tramadol.

Les médicaments recommandés

Par précaution, il conviendrait donc de substituer à ces médicaments l'ibuprofène ou le paracétamol. En cas de douleurs trop importantes, des injections brèves de morphine peuvent être proposées à la mère allaitante sans danger pour l'enfant.

L'aspirine (acide acétylsalicylique) ne semble pas poser de problèmes à des doses inférieures à 160 mg par jour. Toutefois, l'aspirine transite très facilement dans le lait. Pour des dosages plus importants, l'AAP rapporte des cas d'éruptions cutanées, d'anomalies des plaquettes sanguines, des saignements et d'augmentation de l'acidité du sang (acidose).

(1) Le profil génétique associé à une métabolisation très rapide de la codéine est plus ou moins fréquent selon l'origine ethnique des individus, note l'auteur du rapport. Il est particulièrement fréquent chez les personnes originaires d’Afrique du Nord, d’Ethiopie et d’Arabie Saoudite (de 16 à 28% des individus).

 

Médicaments destinés à favoriser la lactation

Pour l'AAP, les galactogues présentent peu de bénéfices, mais ne sont pas exempts de risques.
Pour l'AAP, les galactogues présentent peu de bénéfices, mais ne sont pas exempts de risques.

Selon les données analysées par l'AAP, "aucun galactagogue n'a démontré d'efficacité nette". Les spécialités à base de plantes sont même, selon l'auteur de l'étude, sans efficacité prouvée. En revanche, "de nombreux effets indésirables" associés aux produits censés favoriser la lactation sont recensés.

Si les médicaments incorporant du dompéridone (Motilium®, Péridys®) semblent bien, selon certaines études, susceptibles de favoriser la lactation, l'AAP rappelle que la molécule peut causer chez l’adulte arythmies et arrêts cardiaques. L'utilisation de cet antinauséeux pour favoriser la lactation est très critiquée en France depuis plusieurs années.

Début 2013, à la suite de demandes de l'agence du médicament belge, l'Agence européenne du médicament a entrepris un réexamen du rapport bénéfices/risques de la molécule. L’utilisation de médicaments à base de dompéridone comme galactagogue n’est pas autorisée aux Etats-Unis. Les données relatives au taux de transmission du principe actif dans le lait étant insuffisantes, l'auteur du rapport déconseille d’avoir recours à ce médicament.

Concernant le métoclopramide (également prescrit comme antimigraineux et antinauséeux, notamment dans les spécialités Prokinil®, Anausin®, Migpriv® ou Primpéran®), l'AAP note que les concentrations qui se retrouvent dans le lait humain "sont similaires à celles mesurables dans le plasma de la mère". La présence de la molécule est également "détectable" dans l’organisme du bébé. Si les doses mesurées restent faibles, la lenteur de sa dégradation par l’organisme de l'enfant "[pourrait] entraîner des concentrations sériques excessives" avec un risque d'un trouble de l'oxygénation sanguine (méthémoglobinémie) entraînant une coloration brune de la peau et du sang, et pouvant être associée à une léthargie et des céphalées du nourrisson. Toutefois, de tels accidents semblent rares.

Les spécialités à base de fenugrec (une plante médicinale) posent plusieurs problèmes. L'interaction avec des anti-inflammatoires non stéroïdiens peut en effet accroître le risque d'hémorragies chez le nourrisson. Par ailleurs, l'AAP note que la prise de fenugrec peut entraîner des troubles de la coagulation, une élévation du taux de glucose sanguin et peut provoquer une modification de l'odeur du bébé (odeur évoquant le sirop d'érable, en plus âcre).

 

Anxiolytiques et antidépresseurs

Le transfert dans le lait de molécules destinées au sevrage ne prévient aucunement le syndrome de sevrage du nourrisson (signes neurologiques digestifs et respiratoires associés au ''manque'').
Le transfert dans le lait de molécules destinées au sevrage ne prévient aucunement le syndrome de sevrage du nourrisson (signes neurologiques digestifs et respiratoires associés au ''manque'').

Selon l’AAP, si la présence d'un grand nombre d’anxiolytiques et antidépresseurs est mesurables dans le lait maternel, les concentrations associées sont "faibles". Néanmoins, pour un certain nombre de molécules, les taux relevés atteignent des niveaux "cliniquement significatifs" (au moins 10% de la concentration plasmatique). Il s’agit du citalopram (Seropram®), du diazepam (Novazam®, Valium®), de la fluoxetine (Prozac®), de la lamotrigine (Lamictal®, Lamicstart®), du lithium et de la venlafaxine (Effexor®). Une liste non limitative, les données relatives à l’éventuelle diffusion des principes actifs dans le lait maternel "étant indisponibles pour environ un tiers des médicaments psychoactifs".

La dégradation par l’organisme des molécules qui entrent dans la composition de ces médicaments est souvent lente. Du fait de l’immaturité des fonctions rénales et hépatiques des nourrissons, ces molécules peuvent circuler durablement dans leur organisme. "Des taux supérieurs [au seuil d’effet thérapeutique] ont été mesurés chez l’enfant pour de nombreux médicaments", alerte l’AAP.

Après revue de la littérature scientifique, l'académie de pédiatrie confirme la présence des molécules précédemment évoquées dans l'organisme des nourrissons. La liste est même élargie aux composés suivants : la clomipramine (Anafranil®), la doxépine (Quitaxon®), l'olanzapine (Arkolamyl®, Zyprexa®, Zypadhera®), la sertraline (Zoloft®), la fluvoxamine et la mirtazapine (2).

Le méprobamate (Equanil®, Kaoloegais®, également prescrit en traitement du syndrome prémenstruel sous le nom de Precyclan®) transite lui aussi aisément dans le lait maternel. Les résultats d'expériences menées sur des souris suggèrent que la prise de cette molécule serait associée à une diminution de la lactation.

L'AAP rappelle que "les effets à long terme [de toutes ces molécules sur le développement de l'enfant] sont largement méconnus".

(2) L'AAP cite également le bupropion (Zyban®), autorisée sur le marché français pour le traitement du tabagisme, et la nortriptyline, non commercialisée en France.

Médicaments de sevrage et de substitution

Selon l'AAP, les gommes à mâcher et les comprimés orodispersibles sont à préférer aux patchs nicotiniques.
Selon l'AAP, les gommes à mâcher et les comprimés orodispersibles sont à préférer aux patchs nicotiniques.

Il est très fortement recommandé aux femmes de cesser de fumer et de boire de l’alcool durant l’allaitement (ainsi que d’interrompre la consommation de tout stupéfiant). Selon l'AAP, les médicaments généralement prescrits pour le sevrage n'entraîneraient que peu d'effets secondaires pour le nourrisson.

Les effets secondaires potentiels recensés de la méthadone et de la buprenorphine (Subutex®) sont principalement "des difficultés respiratoires, une léthargie et une [très faible] prise de poids" chez l'enfant.

Si les effets à long terme de ces deux molécules sont méconnus, l'AAP note que les taux transmis au nourrisson sont faibles. A la lumière de ces données, l’auteur de l’étude ne déconseille pas l’emploi de la méthadone pour les femmes allaitantes. Il observe toutefois que l’utilisation de buprenorphine est susceptible de provoquer une réduction de la lactation, et donc des risques de carence chez l’enfant.

Concernant les traitements de l’alcoolisme, l’AAP déconseille l’utilisation de disulfirame et le naltrexone (Antaxone®, Revia®) pour les femmes allaitantes (3).

Pour le tabagisme, l’académie insiste sur le fait que la nicotine transite librement dans le lait. Gommes à mâcher et comprimés orodispersibles, qui délivrent la nicotine de façon ponctuelle, seraient à privilégier aux patchs. Les usages de bupropion (Zyban®) et de varénicline (Champix®) sont quant à eux déconseillés par les fabricants eux-mêmes (4).

Concernant le baclofène, les notices précisent que les concentrations retrouvées dans le lait sont faibles "après administration orale unique", et "ne [semblent] pas entraîner, dans ce cas, de risque pour le nourrisson". Les laboratoires pharmaceutiques qui commercialisent des spécialités à base de baclofène considèrent que l'allaitement est envisagable "à condition de mettre en route une surveillance clinique régulière de l'enfant".

(3) Le taux de transfert de naltrexone au nourrisson apparaît limité, toutefois le peu de données existant sur cette molécule incite, selon l'AAP, à la prudence.

(4) Pour le premier, le passage de la molécule dans le lait maternel à des doses importantes est avéré. Pour le second, des présomptions fortes existent à la suite d’études effectuées sur l’animal.

 

Produits à base de plantes

L’AAP observe l’inexistence "d’informations fiables sur la sécurité de nombreux produits à base de plantes". En effet, "les produits d'herboristerie ne sont pas soumis aux mêmes normes de fabrication, d'efficacité et de sécurité que les médicaments". Pourtant, les dangers associés aux molécules actives présentes dans de nombreuses spécialités sont avérés. (5)

Des évènements indésirables pour la mère ou pour l’enfant ont été rapportés pour un certains nombre de plantes couramment utilisées au cours de l’allaitement, et pour lesquelles "les données de sécurité font défaut". Parmi elles : le millepertuis, la camomille, la valériane, les actées (à grappes noires, à grappes bleues), le vitex agnus-castus ("arbre chaste"), le ginseng, le gingko, le fenugrec (déjà évoqué plus haut) et diverses échinacées. Par exemple, le millepertuis peut provoquer "coliques, somnolence ou léthargie chez le nourrisson allaité au sein". L'AAP déconseille l'utilisation de l'ensemble de ces plantes par les femmes allaitantes.

Si l’académie note que les supplémentations en fer et en vitamines sont sans danger (tant que les doses journalières recommandées ne sont pas dépassées), elle rappelle toutefois que l’Agence de sécurité sanitaire américaine (FDA) rappelle annuellement une dizaine de "suppléments diététiques" en raison de la présence d'ingrédients non déclarés potentiellement toxiques ou de résidus de pesticides. Les supplémentations intégrant du tryptophane sont déconseillées.

(5) L'AAP prend ainsi le cas du yohimbe (utilisé par les personnes originaires d'Afrique centrale comme anesthésique et stimulant) dont la consommation, par des mères allaitantes, a entraîné plusieurs cas de décès. L’auteur des travaux évoque également le cas du kava, interdit en France depuis 2003, auparavant importé pour traiter les symptômes du stress et de l’anxiété, dont la consommation entraînait des dommages hépatiques graves.

 

En savoir plus

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Ailleurs sur Internet :

  • Journal of the american academy of pediatrics
    The Transfer of Drugs and Therapeutics Into Human Breast Milk: An Update on Selected Topics. H. C. Sachs (AAP). Pediatrics, août 2013 doi:10.1542/peds.2013-1985