Arthrose : soupçons autour d'une pinte de bière

Consommer régulièrement certaines boissons alcoolisées fait grossir, et grossir augmente le risque d'arthrose. Mais la consommation d'alcool influe-t-elle, directement, sur le risque d'arthrose ? Les rares études qui ont soulevé cette question ont conclu par la négative. Pourtant, en s'intéressant de plus près à la nature des alcools ingurgités, des chercheurs britanniques font naître quelques soupçons sur la bière…

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Arthrose : soupçons autour d'une pinte de bière
(DR)  

Des chercheurs de l'université de Nottingham (Royaume-Uni) ont recruté 1.042 patients de 45 à 86 ans souffrant d'arthrose sévère (genou et/ou hanche), et leur ont fait remplir un questionnaire très général, contenant quelques questions sur leur alimentation durant les décennies précédentes. Parallèlement, ils ont recruté 1.123 patients devant être radiographiés pour diverses pathologies. Ayant confirmés qu'aucun d'entre eux ne souffrait d'arthrose, le même questionnaire leur a été remis.

Le groupe des arthritiques semblait comporter plus de buveurs d'alcools – toutes boissons confondues – que le groupe témoin, mais la différence n'apparaissait pas très significative (d'autant plus que la proportion de "gros buveurs" était très semblable dans les deux groupes).

Les amateurs de bière semblaient toutefois plus nombreux chez les malades de l'arthrose. Mais à cela, rien de bien étonnant : cette boisson favorise la prise de poids, et grossir augmente le risque de souffrir de cette pathologie.

En prenant en compte les facteurs de risques avérés associés au profil de chaque patient (y compris les antécédents de goutte) les résultats se sont révélés bien différents. Les personnes buvant de 8 à 19 demis de bière (25 cl) par semaine entre l'âge de 21 et 50 ans apparaissent avoir un risque accru (estimé entre +4% et +115%) de souffrir d'arthrose qu'un non-buveur. Au-delà de 10 pintes hebdomadaires, ce sur-risque est encore plus net (de +45% à +219%). Toujours selon cette étude statistique, la consommation d'alcools forts pourrait être corrélée à un risque d'arthrose diminué. Aucun effet n'est suggéré pour le vin, le thé, le café ou les jus de fruits.

Ce type d'études – dites études "cas-témoins" – est généralement à prendre avec des pincettes. En effet, ces enquêtes sont presque toujours rétrospectives : les questionnaires collectent les souvenirs des malades (parfois ceux de leurs familles). Des sur-déclarations ou des sous-déclarations sont alors possibles, surtout si les malades ont une idée préconçue des causes de leur pathologie. D'autres limitations sont régulièrement pointées du doigt(1). Cette étude, isolée, ne "prouve" donc rien.

Toutefois, ici, les chercheurs ont pris soin d'inclure un très grand nombre de patients, et d'isoler de très nombreux paramètres. Surtout, la consommation d'alcool n'était pas (officiellement) au cœur des préoccupations des enquêteurs.

Les résultats obtenus font naître une présomption sur la forte consommation de bière comme facteur de risque pour l'arthrose, qui devra être confirmée par d'innombrables études ultérieures. S'ils avancent une hypothèse pour expliquer la corrélation (l'ingestion de bière augmenterait le taux d'acide urique sanguin, ce qui accélèrerait l'usure des articulations), les chercheurs restent extrêmement prudents dans leurs conclusions.

Ils notent que si les deux groupes étudiés sont comparables, ceux-ci ne sont pas nécessairement représentatifs de la population dans son ensemble. Par ailleurs, la consommation de bière ne pourrait être que le témoin d'habitudes de vie non prises en compte dans l'analyse, qui constituerait le véritable facteur aggravant de l'arthrose(2). "Une étude cas-témoins ne peut identifier que des corrélations", rappellent-ils. Les véritables liens de cause à effet devront être identifiés ou confirmés "par une étude prospective", portant sur une importante cohorte.

 

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(1) Ainsi, une étude cas-témoin ne permet pas d'exclure l'existence de différences fondamentales entre les individus sains et malades (comme un biais de prédisposition génétique pour une partie des malades). Par ailleurs, si l'étude révèle un lien entre deux phénomènes, elle ne démontre pas un lien de cause à effet (par exemple, les fumeurs stressés fument beaucoup, mais le fait du fumer beaucoup n'est pas à l'origine de leur stress).

(2) Les patients pourraient ainsi se révéler être de vibrants supporters de l'équipe de football de Nottingham (pardonnez le cliché du supporter buveur de bière, ceci est une hypothèse de travail !)... et le facteur aggravant à chercher dans la matière dont est composée les bancs du stade local !

 

Source : Beer and wine consumption and risk of knee or hip osteoarthritis: a case control study. S.G. Muthur et coll. Arthritis Res. Ther. 2015. doi:10.1186/s13075-015-0534-4