Vers un médicament pour déconditionner nos peurs ?

A l’issue d’un traumatisme, certains contextes, certaines évocations, peuvent susciter en nous de véritables réflexes de panique. Chez la souris, de tels "réflexes conditionnés" s’ancrent rapidement de façon profonde. De ce fait, toute tentative de "déconditionnement" échoue si elle n’est pas réalisée assez tôt. Or, des chercheurs viennent d’identifier un mécanisme chimique permettant de redonner leur plasticité aux structures cérébrales associées à ces souvenirs. Ils sont ainsi parvenus à traiter des souris plusieurs semaines après leur conditionnement…

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Si la souris a appris qu’un son annonce un châtiment, ce seul son provoque en elle la peur. (Illustration : détail d'une oeuvre de Guido Reni c.1611)
Si la souris a appris qu’un son annonce un châtiment, ce seul son provoque en elle la peur. (Illustration : détail d'une oeuvre de Guido Reni c.1611)

Que l'on soit un humain ou une souris, il est très aisé d'apprendre à avoir peur

Exposées à un choc électrique quelques instants après avoir fait retentir une tonalité musicale, les souris de laboratoires acquièrent un réflexe de peur associé à ce seul son. On parle alors de réflexe conditionné.

Mais les tests prouvent que les souris peuvent également apprendre à ne plus avoir peur de ce fameux son. Pour ce faire, il faut les exposer au même stimulus de façon répétée dans des conditions neutres, ou légèrement agréables. Toutefois, un tel protocole doit être mis en place rapidement. En effet, les connexions neuronales qui se créent afin de réagir sans délai au signal deviennent quasiment permanentes après quelques semaines.

Des chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (MIT) ont cherché à savoir quels mécanismes biologiques empêchaient le cerveau de se reconfigurer après quelques semaines. Ils ont émis l'hypothèse que, au cœur des neurones impliqués dans l'apprentissage et la mémorisation du fameux réflexe, un certain nombre de gènes étaient, peu à peu, plus difficiles à transcrire.

Un peu d'épigénétique...

Avant d’aller plus loin, il nous faut replonger au plus profond de nos cellules. Dans leur noyau, notre ADN est entortillé autour de petites protéines dénommées histones. Pour qu'un gène codé dans l'ADN s'exprime (en d'autres termes : pour qu'il serve de modèle à une protéine utile à l'organisme), il faut qu'il soit lu. Et pour être lu, il faut que le segment particulier de la chaîne d'ADN qui porte ce message se déroule.

Un certain nombre d'agents, internes ou externes à l'organisme, peuvent favoriser ou entraver le déroulement de l'ADN, et donc l'expression des gènes (on parle de mécanismes épigénétiques, voir encadré). Certains peuvent même s'inviter de façon plus ou moins durable et permanente à proximité des histones(1), influençant la possibilité de transcription des gènes.

Les "agents" perturbateurs sont nombreux. L'équipe du Massachussetts Institute of Technology s'est intéressée à plusieurs d'entre eux, parmi lesquels… un enzyme (produit par l'organisme) ayant la capacité à renforcer les liens entre les histones et l'ADN.

Il s'agissait surtout d'un candidat facile à étudier : des composés chimiques bien connus, les IHDA (inhibiteurs de l'histone déacétylase), ont la capacité d'entraver l'action de ces enzymes.

En leur présence, il est beaucoup plus facile de solliciter une transcription de l'ADN.

Les chercheurs du MIT ont donc administré de l'IHDA à des souris qui avaient été conditionnées, un mois auparavant, à la peur d'un son. Ils ont ensuite cherché à les "déconditionner" selon le protocole classique.

L'expérience s'est révélée un succès.

Vers une application rapide à l'homme ?

Pour les chercheurs, la découverte est d'importance, et pourrait avoir des applications rapides à l'homme, notamment pour appuyer le traitement des syndromes de stress post-traumatiques (SSPT).

"La psychothérapie est souvent utilisée pour le traitement du SSPT, mais cela ne fonctionne pas toujours, en particulier lorsque les événements traumatisants sont survenus plusieurs années auparavant", détaille Li-Huei Tsai, principal auteur de l'étude, dans un communiqué. "[Notre] étude fournit un mécanisme pouvant expliquer pourquoi les vieux souvenirs sont difficiles à oublier, et [suggère aussi] que l'IHDA pourrait appuyer les traitements psychothérapeutiques de certains troubles anxieux comme le SSPT".

Le biologiste insiste sur le fait que "les résultats des expériences démontrent que l'exposition seule [à l'IHDA] ne suffit pas à effacer les souvenirs traumatiques formés il y a longtemps". C'est bien "sa combinaison avec la thérapie" qui est susceptible d'être efficace.

Les médicaments de type IHDA étant déjà utilisés dans le traitement de certaines pathologies (cancers), l'évaluation de leur intérêt pour l'accompagnement psychologique de patients souffrant de troubles anxieux est envisageable dans les années à venir.

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(1) Certaines molécules restent attachées de façon permanente à proximité de ces histones. Puisqu'ils s'accumulent au fil des années de vie d'un individu, les dénombrer permet… de déduire l'âge de cet individu !

Source : Epigenetic Priming of Memory Updating during Reconsolidation to Attenuate Remote Fear Memories, Li-Huei Tsai et coll. Cell, 16 Jan. 2014 doi:10.1016/j.cell.2013.12.020

Les mécanismes qui gouvernent le déroulement, la lecture, la durée de transcription des gènes, sont influencés par l'environnement, ou l'histoire individuelle.

Des perturbations chimiques environnementales, des instructions envoyées par le cerveau ou par le système hormonal, vont influencer dans une proportion non négligeable l'expression des gènes (sans que ceux-ci ne soient le moins du monde altérés). Ces mécanismes de régulation sont dits épigénétiques.