Surdité : nous ne sommes pas tous égaux face au bruit

Un bruit trop intense peut abîmer les cellules qui tapissent l'oreille interne. Ceci est tout particulièrement vrai chez les personnes porteuses d'une mutation génétique qui entrave la réparation normale de ces cellules. Les mécanismes en jeu viennent de faire l'objet d'une publication par une équipe française dans la revue Cell.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

En 2006, des chercheurs français découvrent un gène impliqué dans certaines formes précoces de dysfonctionnement de l'oreille interne. La protéine codée par ce gène est alors baptisée pejvakine[1].

"Des tests audiométriques pratiqués chez des individus porteurs de mutations dans ce gène [ont mis en lumière] une diversité inhabituelle des atteintes auditives, tant dans leur sévérité que dans leurs caractéristiques propres", expliquent aujourd'hui les biologistes dans un communiqué accompagnant leur publication dans Cell.

La surdité précoce des souriceaux sans pejvakine

En observant des souriceaux chez qui le gène codant pour la pejvakine était inactivé, le constat s’est affiné : "les petits vocalisent intensément pendant leurs trois premières semaines de vie, tout particulièrement au moment de la tétée. Plus ils sont nombreux dans la cage, plus l'environnement acoustique est donc bruyant. Les chercheurs ont pu observer […] que le niveau sonore à partir duquel ils perçoivent les sons (seuil auditif) augmentait avec leur nombre dans la cage". Des expériences complémentaires ont permis de confirmer que l’environnement acoustique était bien à l’origine de ces traumatismes du système auditif, chez ces animaux sans pejvakine.

"En l'absence de pejvakine, les cellules sensorielles auditives des souriceaux s'altèrent dès qu'ils sont exposés à des sons, même anodins, [pour des intensités et des durées] équivalentes, chez l’homme, [à] une minute en discothèque", poursuivent les auteurs de l’étude. "Deux semaines [de silence continu] sont alors nécessaires pour que ces cellules récupèrent leur fonctionnalité. Si l'exposition se prolonge ou se répète, ces cellules finissent par mourir".

Dans l’étude publiée dans la revue Cell, les auteurs expliquent avoir identifié, dans les cellules de la cochlée, l’élément avec lequel interagit la pejvakine : il s’agit du peroxysome. Chez un sujet normal, ce tout petit organite se multiplie pour nettoyer la cellule de ses toxines, et ainsi prolonger son existence. Sans pejvakine, non seulement le peroxysome ne prolifère pas, mais il dégénère. "Nos résultats [démontrent] que l'activité anti-oxydante des peroxysomes protège le système auditif contre les dommages dus au bruit", précisent les chercheurs.

Bientôt un traitement pour certaines formes de surdité ?

"On ne sait pas encore quel pourcentage de la population ne [produit] pas de pejvakine, ou [produit une forme altérée de la molécule", notent-ils. "Nos résultats indiquent que chez ces personnes, les prothèses auditives devraient être non seulement inefficaces mais sans doute délétères".

Les biologistes étudient désormais des stratégies thérapeutiques pour les personnes en déficit de pejvakine. Leur intérêt se porte notamment sur des traitements à base d'antioxydants mais aussi, après quelques premières expériences concluantes sur la souris, sur une thérapie génique qui rétablirait localement la synthèse de la pejvakine.

Source : Hypervulnerability to sound-exposure through impaired adaptive proliferation of peroxisomes. S. Delmaghani et al. Cell, 5 novembre 2015. doi: 10.1016/j.cell.2015.10.023

 


[1] D’après un mot persan qui signifie "écho".