Fin de vie : le droit à la sédation profonde et continue à la peine

Si des progrès ont été faits depuis l'application de la loi sur la fin de vie, la réalité de terrain reste très difficile à évaluer et insatisfaisante, selon l'Igas.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
La Belgique est le seul pays qui autorise l'euthanasie pour les mineurs, sans limite d'âge (Image d'illustration)
La Belgique est le seul pays qui autorise l'euthanasie pour les mineurs, sans limite d'âge (Image d'illustration)

Plus de deux ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, l’heure est au bilan. L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) publie son rapport sur l’évaluation de la loi, entrée en vigueur le 2 février 2016. L’Igas a recueilli le point de vue de très nombreux professionnels de santé et d’experts des questions de fin de vie ainsi que celui d’associations de patients. Son rapport souligne que la loi, qui a conféré de nouveaux droits aux malades, "est parvenue à impulser une nouvelle dynamique à la prise en charge de la fin de vie et à la diffusion de la culture palliative en France" : la connaissance de la loi et son appropriation par les citoyens et les professionnels de santé progressent et le dialogue entre patients et soignants sur la fin de vie s'est ouvert et étoffé.

Mais l’Igas tire aussi un bilan beaucoup moins positif des données de terrain et fait 30 recommandations pour améliorer la situation.

Un droit à la sédation profonde et continu peu harmonisé

C'est une mesure-phare de la loi : le droit, pour le patient, de bénéficier d'une sédation profonde et continue jusqu’au décès. "Cette demande peut être faite par le patient en mesure de s'exprimer dans deux cas, rappelle le Dr Bernard Devalois, chef de service de l'unité de soins palliatifs à l'hôpital de Pontoise et directeur du centre de recherche et d’enseignement interprofessionnel "bientraitance et fin de vie". S'il a demandé l’arrêt du maintien artificiel en vie ou s’il est en toute fin de vie avec un pronostic vital réservé à court terme (quelques heures ou quelques jours) et que de symptômes réfractaires persistent malgré les traitements." Si le malade en fin de vie est incapable de s’exprimer, il peut bénéficier de la sédation profonde et continue s'il en a fait la demande anticipée.

Trop d'influences idéologiques

Si le droit au recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès est en train de s’instaurer peu à peu, les limites et difficultés à sa mise en place sont nombreuses. Et tous les malades en fin de vie ne sont pas logés à la même enseigne. L’Igas pointe une grande "diversité des situations sur le terrain, selon les équipes, les types de structures, les lieux de prise en charge et les caractéristiques des patients"  et une mise en œuvre des dispositions législatives "loin d’être aussi rigoureuse qu’il le faudrait dans bien des circonstances." Pourquoi des telles approximations et disparités ? "L’administration de la sédation profonde et continue ne repose pas sur une démarche scientifique, mais idéologique, déplore le Dr Devalois. En pratique, certaines équipes pro-euthanasie vont l’administrer en excès, alors que d’autres, plutôt pro-life, vont avoir tendance à la refuser à des patients qui y ont droit."

Le rapport insiste d'ailleurs sur la nécessité de clarifier le cadre réglementaire de l’usage des produits de sédation et d’encadrer l’usage de cette pratique. Notamment à domicile, en la réservant aux services d’hospitalisation à domicile (HAD), aux équipes mobiles de soins palliatifs ainsi qu’aux praticiens libéraux titulaires d’un diplôme de soins palliatifs ou travaillant en lien avec une HAD ou une équipe mobile.

L’urgence de codifier l’acte et de former les professionnels

L’Igas ne fournit aucune donnée chiffrée pour la sédation. Tout simplement parce qu’à ce jour, ce n’est pas possible : aucun indicateur de l’acte n’a été mis en place. "Aujourd’hui, personne n’est capable de dire combien de sédations profondes et continues sont pratiquées, ni où elles sont le plus et le mieux administrées. Il faudrait  absolument tenir un registre", insiste le médecin. Ce "traçage" des sédations, gage d'une meilleure connaissance des pratiques, et donc de pratiques de meilleure qualité et uniformisées, fait partie des recommandations de l’Igas. Autre suggestion, cruciale, des auteurs du rapport : la formation des professionnels de santé, insuffisante : "les failles de la formation initiale et continue n’ont toujours pas été comblées et la discipline universitaire des soins palliatifs n’est pas structurée comme il le faudrait", constate le rapport. "Il y a une véritable incompétence médicale en ce qui concerne l’accompagnement des patients en fin de vie", confirme le Dr Devalois.

Plus de place pour la famille et la médiation

Parmi ses nombreuses recommandations, l’Igas propose également, si le patient est incapable de s’exprimer, de renforcer le rôle de son entourage en "conférant à la personne de confiance, ou à défaut la famille ou l’un des proches, le droit de désigner le médecin de son choix comme participant à la procédure collégiale". Les situations de fin de vie peuvent  donner lieu à des crispations, voire des conflits entre les familles et les équipes médicales. Les auteurs du rapport estiment qu’il serait "opportun d’instituer, lorsque la situation n’est pas consensuelle, le droit au recours à un médiateur par le médecin en charge du patient, ou la personne de confiance, ou la famille ou l’un des proches."

Pour le Dr Bernard Devalois, le rapport est un "vrai constat de réalité". Malgré les difficultés de terrain, il croit à la loi Claeys-Leonetti. "La loi n’a pas tout réglé. On meurt mal en France. Mais ce n'’est pas la loi qu’il faut changer, mais sa mise en œuvre", assure-t-il.