Alcool : un effet paradoxal

De nombreuses personnes alcoolo-dépendantes déclarent boire pour réduire leurs idées noires, l'anxiété ou le stress. Pourtant, toutes les études épidémiologiques montrent que l'alcool ne protège, ni ne guérit aucune dépression ni trouble anxieux. Au contraire, l'alcool serait même "un inducteur très puissant de dépression et de trouble anxieux". Les explications avec le Pr Philip Gorwood, psychiatre.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

L'alcool a-t-il un effet sur le moral ou le stress ?

Beaucoup de personnes l'ont expérimenté, une consommation modérée d'alcool (et notamment s'il y a des bulles car les effets centraux sont plus rapides) amène le plus souvent à une relaxation et une légère euphorie. Ces effets sont temporaires, et donc le lendemain, on revient à la ligne de base.

Mais les effets euphorisants et anxiolytiques sont obtenus du fait d'une activation des GABA (pour la relaxation) et de la dopamine pour l'euphorie. Or, ces effets ressentis comme agréables vont provoquer une réaction immédiate du cerveau (qui est un grand conservateur et cherche toujours à revenir à l'état initial, l'homéostasie).

Les effets immédiats passés, c'est-à-dire le lendemain, le niveau de stress ou de dépression sera donc très légèrement plus important que la veille. La réponse déjà apprise, c'est le retour à une consommation qui va (efficacement) les améliorer. Et cela se répète pour arriver au paradoxe d'une substance qui est à la fois efficace pour améliorer humeur et anxiété, et pourtant inducteur de dépression et de trouble anxieux.

C'est finalement une question de temps. L'alcool, comme de nombreuses substances addictives, est anxiolytique et antidépresseur à court terme, mais de manière artificielle. Et le prix à payer, c'est une adaptation qui va à terme favoriser dépression et anxiété.

La dépression, un facteur de risque d'alcoolo-dépendance ?

On dit que la dépression est un facteur de risque d'alcoolo-dépendance car c'est ce que ressentent (à court terme !) les patients. Mais les études épidémiologiques montrent que la dépression ne constitue pas un facteur de risque significatif. De plus, le sevrage d'alcool va guérir la dépression chez 90% des patients alcoolo-dépendants qui en souffrent.

Expliquer les hauts et les bas en lien avec la consommation d'alcool est une des informations que nous donnons systématiquement aux patients, dans le registre des approches dites "psycho-éducatives". Nous souhaitons que les patients aient une connaissance importante de la réalité de ces effets, qui est une bonne manière d'en faciliter la prise de conscience.

Savoir que les effets bénéfiques à court terme se paient par une aggravation à long terme participe, pour une petite étape, à la compréhension globale qu'avec les substances addictives, on a plus à y perdre qu'à y gagner… si on effectue une évaluation à froid, et en considérant tous les aspects du problème. Finalement, pour les patients, résoudre ces paradoxes, c'est déjà un peu être sur la voie de la guérison.