Alzheimer : Quelles causes ? Quels facteurs de risque ?

La maladie d'Alzheimer est la cause la plus fréquente de démence. Elle touche 1% des 65-69 ans et 15% des plus de 85 ans. Elle se manifeste par des pertes de mémoire, des troubles du comportement, du raisonnement ou du langage. Que sait-on, en 2013, des causes de cette maladie ? A-t-on identifié des facteurs de risques clairs prédisposant à la maladie ? Point sur l'état de la recherche avec le professeur Bruno Dubois, directeur de l'Institut de la Mémoire et de la Maladie d'Alzheimer (IMMA) à la Pitié-Salpêtrière.

Florian Gouthière
Rédigé le
Alzheimer : Quelles causes ? Quels facteurs de risque ?

Deux types de lésions caractéristiques de la maladie

D'un point de vue strictement physiologique, la maladie d'Alzheimer se caractérise par la coexistence de deux types de lésions, aujourd'hui parfaitement identifiées. Les premières sont la conséquence de la production excessive, par le cerveau et dans le cerveau, d'une protéine du nom de beta-amyloïde. Les processus qui permettent d'évacuer ou de dégrader cette protéine perdent leur efficacité. La protéine a donc tendance à s'agréger, à faire des amas.

Le second type de lésions consiste en une rigidification des neurones de notre cerveau, rigidification qui entraîne une perte de leurs fonctions, notamment celles relatives au transport des protéines. On parle de dégénérescence neuro-fibrilaire. La rigidification excessive des cellules est conséquente du dysfonctionnement de l'expression d'une protéine (la protéine Tau). Cette dégénérescence atteint rapidement l'hippocampe, "véritable péage de l'autoroute des souvenirs", selon le mot du professeur Dubois. "C'est ici, nous explique le chercheur, que les informations perçues sont transformées en traces de mémoire. Les personnes atteintes de lésions de l’hypocampe ne gardent pas trace des nouveaux évènements, ils ne peuvent pas en stocker le souvenir".

Quelles causes à ces lésions ?

Pour l'heure, l'enchaînement des causes qui aboutit à cette modification de la protéine Tau n’a pas été identifié. "Néanmoins, les mécanismes de la progression de ce type de lésions, de proche en proche, sont de mieux en mieux connus", note le professeur Dubois. "Leur propagation suit une voie anatomique, celle de la connexion des neurones." A noter que de récents travaux de l'Inserm ont pointé du doigt l'influence d'une autre protéine produite par le cerveau (1) dans la concentration des protéines Tau, mais également des béta-amyloïdes, dans les neurones.

Pour ce qui est des causes de la surproduction de la seule protéine béta-amyloïde, les connaissances de la communauté scientifique sont beaucoup plus avancées. Il faut savoir que cette protéine est issue de la scission d'une molécule plus grande : le peptide amyloïde. Ce peptide présent dans le cerveau peut être dégradé par trois enzymes différents. Lorsque la première d’entre elles - la plus active - œuvre au découpage, il n'y a pas de production de béta-amyloïde. Mais lorsque les deux autres opèrent, la scission produit la fameuse protéine. "Dans les situations courantes, l'importante activité de la première enzyme fait qu'il y a une très faible production de protéine béta-amyloïde", explique le professeur Dubois. "Dans la maladie d’Alzheimer, les deux autres enzymes prennent le dessus."

"Une hypothèse sérieuse est que ce phénomène est un mode de réaction à des situations d'aggressions, pouvant trouver leur origine à l'intérieur comme à l'extérieur de l'organisme. Mais ces agressions sont diverses et variées, et non spécifiques. Ainsi, on observera souvent ce type de lésion chez des personnes ayant eu des traumatismes crâniens très répétés, les boxeurs par exemple. Mais il n’y a pas un facteur unique, commun à l’apparition de ces lésions."

"Au cours de la vie, le message chromosomique peut s’altérer pour de multiples raisons. On observe que, tôt ou tard, cette altération entraîne la surexpression d'enzymes au détriment d'une autre…" résume le scientifique.

Ces deux types de lésions apparaissent relativement tôt dans la vie des personnes, cependant il faut souvent 20 à 30 ans avant que leur étendue n'entraîne des symptômes. Durant la longue phase asymptomatique, il y a des lésions, mais les fonctions cérébrales sont maintenues, car le cerveau est capable de s'adapter à ces aggressions neuronales : les neurones non lésés augmentent leur activité, compensant les pertes. Malheureusement, vient un moment où ce système de compensation est dépassé. Plus on vieillit, plus la maladie à de chances de se révéler.

"La fréquence d'apparition des symptômes de la maladie croit exponentiellement avec l'âge", note le professeur Dubois. Toutefois, une recherche américaine récente suggère, de façon surprenante, que la maladie d’Alzheimer progresserait moins vite lorsqu’elle se déclare chez des personnes de plus de 80 ans.

A noter que dans un peu plus d'1% des cas, la maladie débute avant 60 ans (voir encadré).

(1) Cette protéine, du nom de PKR, s'avère en outre très toxique pour les neurones sains.

Selon les données de l'Assurance-maladie, sur les 860.000 personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, 8.000 sont ce qu'on appelle des patients "jeunes". Ils ont entre 40 et 60 ans et, aujourd'hui, peu de structures les prennent en charge. "Le retentissement soscial, familial, professionnel de l'apparition précoce de la maladie est dramatique", déplore le professeur Dubois. "Une telle situation est très douloureuse pour le conjoint ou les jeunes enfants", le plus souvent démunis face à cette situation. Allodocteurs avait consacré, en septembre 2012, un reportage à l'une de ces malades précoces.

Alzheimer : les facteurs de risque

"Aujourd'hui, aucune étude épidémiologique n'a permis d'identifier de facteurs clairs liés à l'apparition des lésions", souligne le professeur Dubois. A noter, à ce propos, que les soupçons qui ont un temps pesé sur l'influence de certaines classes de médicaments sur l'apparition des lésions (notamment les benzodiazépines) ont été infirmés (2).

En revanche, il existe des facteurs qui accélèrent l'apparition des symptômes. Ces facteurs peuvent être d'ordre génétique. Certaines variations d'un gène impliqué dans la réparation des neurones prédisposent ainsi, presque "mécaniquement", à l'apparition de la maladie. Des chercheurs français ont également découvert, fin 2012, une mutation génétique influant sur la capacité du système immunitaire humain à combattre les aggressions, correlée avec une importante probabilité de diagnostic positif de la maladie chez les personnes porteuses.

Par ailleurs, de nombreux aspects de nos modes de vie ou de notre nutrition pouvent avoir un impact sur la capacité de notre cerveau à compenser l’effet des lésions.

"Ainsi, il faut comprendre que l'hypertension artérielle n'est pas un facteur de risque d'apparition des lésions, mais de leur expression. En effet, l'hypertension peut être corrélée à une athérosclérose, elle même associée à une diminution de l'apport de nutriments au métabolisme, et donc au cerveau." Celui-ci, privé de certaines ressources, semble moins apte à compenser les lésions apparues par ailleurs."

Dans un même ordre d'idées, les personnes souffrant de diabète de type 2 semblent avoir un risque accru de développer des plaques amyloïdes leur cerveau. 

"Nous savons également que le niveau culturel des personnes à une incidence sur l’apparition de la maladie : il semble qu'un développement précoce du réseau de synapses retarde l'expression de la maladie à l’âge adulte. Il existe probablement une plus grande plasticité cérébrale - une plus grande aisance pour le cerveau à se reconfigurer - chez des personnes ayant eu une sollicitation intellectuelle plus tôt dans l'enfance."

De fait, les seules préconisations sérieuses relatives à la maladie d'Alzheimer portent presque exclusivement sur les moyens de retarder son expression. "On ne fait jamais que déplacer le curseur de l'apparition des symptômes", conclut le professeur Dubois. "Tout cela est sans influences sur les lésions." Il n'y a pas, en 2013, de modèle explicatif satisfaisant de l'apparition de la maladie.

(2) "Les benzodiazépines influent sur la capacité d’attention des personnes sous traitement", explique le professeur Dubois "Cela explique pourquoi l’on a constaté que, lorsque les patients arrêtent leur traitement, leurs troubles de la mémoire régressent : quand on est moins attentif, on a plus de difficulté à mémoriser."

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