Quand la science nous aide à marier les saveurs

Recourir à la science pour décrypter les goûts des aliments et optimiser leurs associations, c'est désormais possible. Raphaël Haumont, chimiste et spécialiste de la cuisine moléculaire vous dit tout.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Le concombre et le chocolat, ou encore le lard et le pruneau se marient très bien.
Le concombre et le chocolat, ou encore le lard et le pruneau se marient très bien.

Quand la science et la cuisine font bon ménage, les papilles se régalent ! Des techniques scientifiques peuvent aider à mieux comprendre pourquoi certaines associations de saveurs fonctionnent en bouche. Comment associer parfaitement deux aliments a priori incompatibles, mais affichant des composantes moléculaires similaires ? Décryptage de cette technique très prisée des grands chefs et des barmen mais néanmoins accessible à tous... 

Des mariages heureux

Lorsqu'on mange un aliment, des dizaines de molécules viennent se fixer sur nos récepteurs gustatifs. Les molécules aromatiques se lient à nos bourgeons sensoriels. Les affinités chimiques sont converties en messages nerveux qui parviennent au cerveau, on peut alors identifier les saveurs.

Une fraise, une mangue ou encore une gousse de vanille contiennent au moins 300 molécules aromatiques différentes et c’est l’ensemble de ces données qui donnent un message cohérent au cerveau.

Dans la mangue et dans les fruits de la passion par exemple, il y a de nombreuses molécules communes, les mêmes récepteurs sont stimulés par ces deux fruits, et notre cerveau reçoit des messages "identiques". L’accord en bouche apparait parfait car en fait, notre cerveau est incapable de distinguer clairement les deux produits. C’est une sorte d’illusion gustative heureuse.

Idem dans la rose, la framboise et le lychee, où on ne trouve pas moins d’une trentaine de molécules communes.  

Identifier les molécules et trouver les ressemblances gustatives 

Pour faire de la chromatographie, on prend l’aliment, on le dissout, et on analyse les molécules présentes en les différenciant selon leur taille, leur charge, et leur vitesse de migration. On récupère un diagramme, c'est comme une carte d’identité. La position du pic nous dit de quelle molécule il s’agit, la hauteur du pic, elle, nous donne la proportion de cette molécule. Par exemple, dans la cannelle il y a de l’eugénol en faible quantité. Ce même eugénol est présent à 95% dans le clou de girofle. On sait alors que cannelle et girofle vont bien fonctionner en bouche, c’est même la base de plusieurs mélanges d’épices.

On peut donc dire que "escargot-ail-persil", "menthe-chocolat", "boeuf-carotte", "pomme-cannelle", etc… sont des accords qui reposent sur des molécules communes en bouche. 

On analyse tous les aliments en faisant leur cartographie, puis un algorithme classe par "ressemblance moléculaire" les aliments. De là, de nouvelles cartes à jouer apparaissent pour les chefs leur permettant de laisser libre cours à leur créativité sans fausses notes...

Cartographie des aliments

En prenant un aliment qu'on dissout, on analyse les molécules présentes en les différenciant selon leur taille, leur charge, et leur vitesse de migration et on récupère un diagramme.

Cartographie de la tomate :


On remarque que tomate-fraise fonctionne très bien, tomate-mangue ou tomate-lychee aussi. On a trop oublié que la tomate est un fruit d’ailleurs. 
Le basilic et la mozzarella ne s’accordent pas trop mal, mais ce n’est pas optimal pour aller avec la tomate, tomate-emmental est plus intéressant.
Tomate-vanille-homard pourrait être original, ou bien encore un jus de tomate mélangé avec du thé vert sensha.

Cartographie de la pomme :


Pomme-banane, est assez convenu. Pomme-cidre, est évident. Pomme-bière, pomme gorgonzola, pomme-huile d’olive, pomme-turbot, plus recherché et intéressant comme association.

Cartographie du chocolat :


Chocolat-menthe ou chocolat-maracuja (=fruits de la passion) fonctionnent bien évidemment, mais chocolat-concombre devrait encore mieux fonctionner.
De même, chocolat-foie gras, chocolat-pate de miso (on est sur des fermentations) ou bien encore chocolat-olive noire.

Les amis de nos amis, pas forcément nos amis en cuisine !

Chocolat-concombre passe, concombre-maquereau aussi, mais chocolat-maquereau, ce n'est pas simple ! Il est amusant de se promener dans ces cartes de données gustatives.

2 belles associations :

Ananas-fraise-poivre Timut.
Un carpaccio d’ananas avec des saveurs acidulées fruitées nouvelles.

Huître-saké-lychee.
C’est à la fois floral, iodé, vaporeux. Une vraie alternative au traditionnel vinaigre-échalote. On a réalisé des billes lychee-saké et on a replacé ces billes dans les huitres…perlières… de saveurs.