Une mobilisation nationale pour sauver la recherche publique

Après un périple à vélo de trois semaines à travers toute la France, le mouvement de mobilisation pour la recherche et l'enseignement supérieur "Sciences en marche" appelle à manifester ce 17 octobre à Paris. Deux préoccupations majeures sont au centre des revendications : la question de l'emploi dans les laboratoires, et celle des moyens dévolus à la recherche fondamentale.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Image : Logo du mouvement ''Sciences en marche'' - Vidéo : entretien avec Nadège Bercovici, chercheuse à l'Institut Cochin et porte-parole de Sciences en marche
Image : Logo du mouvement ''Sciences en marche'' - Vidéo : entretien avec Nadège Bercovici, chercheuse à l'Institut Cochin et porte-parole de Sciences en marche

Dix ans après le cri d'alarme lancé par le mouvement "Sauvons la recherche", les chercheurs français reprennent le porte-voix.

En juin, le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) s'était réuni en session extraordinaire, alerté par de récents rapports sur le faible taux de recrutement des jeunes dans leurs filières et la chute des moyens alloués à la recherche. Une pétition, qui réunit aujourd'hui plus de 18.500 signatures, avait circulé, en prélude à un fort mouvement de mobilisation nationale. A la fin du mois de septembre, le collectif "Sciences en marche" proposait aux chercheurs de tout l'Hexagone de rejoindre Paris à vélo, pour médiatiser leurs inquiétudes. Le cortège doit atteindre la capitale vendredi 17 octobre en début d'après-midi.

Dans une lettre ouverte au Président de la République, rendue publique en début de semaine, 660 chercheurs ont de nouveau détaillé la situation à laquelle ils sont confrontés, décrivant "l'état dramatique" dans lequel se trouvent leurs laboratoires.

L'emploi des jeunes

Comme l'expliquent les signataires, le nombre de postes permanents ouverts aux jeunes ingénieurs, techniciens, enseignants-chercheurs et chercheurs est aujourd'hui très faible. En effet, seuls les départs à la retraite font l'objet d'un remplacement (et non tous les postes libérés). Or, avec le recul de l'âge de la retraite, les jeunes ne peuvent pas trouver d'emploi.

"En ce qui concerne le CNRS, le nombre de postes de chercheurs mis au concours [était de] 400 en 2010, 300 en 2013, 200 en 2016 si l'on se fonde sur les départs à la retraite prévus", illustrent les auteurs de la lettre, notant que les recrutements d'ingénieurs et techniciens "sont passés de plus de 600 en 2010 à 253 au plus en 2014".

La situation est notamment préoccupante pour les jeunes docteurs. "Plus de 10% d'entre eux sont au chômage trois ans après l'obtention de leur diplôme, contre moins de 2% dans la majorité des pays développés", indiquent-ils.

Selon les auteurs, "le nombre insuffisant d'ingénieurs et de techniciens dégrade les conditions de travail de l'ensemble des personnels de [l'enseignement supérieur et de la recherche]." Autre aspect du problème, mis en avant au début de l'été par le CoNRS, "on commence à observer un tassement voir un recul des inscriptions en doctorat, signe que l'absence de perspectives d'emploi commence à décourager les jeunes de se préparer à une carrière scientifique". Selon les chercheurs, si ce mouvement s'accentue, "c'est le système de recherche tout entier qui est menacé".

La question des moyens

Les chercheurs dénoncent par ailleurs les conséquences de l'instauration d'un financement de la recherche par appels à projets, qui a entraîné une réduction des budgets des laboratoires "à [leur] plus simple expression". "[Ce financement] ne couvre parfois même pas le fonctionnement courant des laboratoires", déplorent-ils dans la lettre au Président de la République. "Dans le même temps, le taux de sélection des projets proposés à l'Agence Nationale de la Recherche […] se réduit d'une année sur l'autre : il est passé de 20% des demandes financées il y a 5 ans à 8,5% en 2014". Cette situation aboutit, selon les auteurs, à "une fragilisation dramatique" des unités de recherche et à "un gaspillage désolant de la créativité et de l'intelligence de l'ensemble des personnels de la recherche française".

L'essentiel des financements publics apparaît dévolu à la recherche appliquée et à l'innovation. "Si ce choix se fait au détriment de la recherche fondamentale sans laquelle aucune recherche appliquée ne peut se développer, c'est une grave erreur", dénoncent les scientifiques.

"Dans le contexte actuel, dire qu'il faudrait injecter des fonds dans la recherche et l'enseignement supérieur n'est pas une provocation", poursuivent les auteurs. "Ce serait au contraire un investissement décisif, une façon durable de préparer l'avenir et à terme de contribuer à la réduction du chômage".

Quelles revendications ?

Le mouvement "Sciences en marche", auquel prennent également part les auteurs de la lettre, manifestera vendredi 17 octobre à Paris. Il revendiquera, d'une part la mise en œuvre d'"un plan pluriannuel ambitieux pour l'emploi" – estimant les besoins à environ 3.000 postes nouveaux par an – et, d'autre part, un renforcement des crédits de base des laboratoires et des universités.

Le collectif chiffre à 20 milliards d'euros sur 10 ans ce "plan d'urgence", proposant de le financer via une réforme du Crédit Impôt Recherche (CIR). Les chercheurs demande à François Hollande d'accepter "de recevoir dans les meilleurs délais une délégation de "Sciences en marche" et des organisations représentatives de l'enseignement supérieur et de la recherche afin d'envisager avec elles les mesures urgentes que doit prendre [le gouvernement]".

Trois ou quatre ans "un peu critiques" selon le ministère

La secrétaire d'Etat à la Recherche, Geneviève Fioraso, qui a rencontré des représentants des scientifiques, a déclaré entendre leur "malaise", tout en mettant en avant une "sanctuarisation" des crédits. Elle a aussi reconnu qu'il y aurait "trois ou quatre ans un peu critiques à passer", en raison notamment d'une forte diminution des départs en retraite "qui réduit mécaniquement les possibilités d'embauche"

Mme Fioraso a demandé aux organismes de recherche "de faire des propositions" favorisant l'insertion des jeunes et assuré que la reconnaissance du doctorat était "un des grands chantiers prioritaires" de son ministère.

Mais à ses yeux, un redéploiement du Crédit d'impôt recherche n'est pas la solution. "Ce n'est pas une cagnotte, c'est de l'argent qu'on ne perçoit pas", a-t-elle notamment fait valoir.

Lors de la séance des questions d'actualité à l'Assemblée nationale, en réponse à une question de la députée Marie-George Buffet (PCF) sur l'emploi scientifique, la secrétaire d'Etat a de nouveau reconnu que le "recrutement des jeunes" posait effectivement problème. Elle a déclaré avoir demandé aux organismes de recherche "[de prendre] toutes leurs responsabilités" et "[de donner] la priorité à l'embauche des jeunes docteurs [...] plutôt qu'aux fins de carrière".

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