Pourquoi Vincent Van Gogh s'est-il coupé l'oreille ?

Depuis le 11 mars et jusqu'au 6 juillet 2014, le musée d'Orsay organise une exposition intitulée "Van Gogh/Artaud. Le suicidé de la société". L'occasion pour le Dr Bruno Halioua, historien de la médecine, d'évoquer les troubles médicaux dont souffrait Vincent Van Gogh.

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le
Photo crédit : Musée d'Orsay/RMN Grand-Palais/Patrice Schmidt - Vidéo : ''Pourquoi Vincent Van Gogh s'est-il coupé l'oreille ?'', la chronique du Dr Bruno Halioua, du 25 mars 2014
Photo crédit : Musée d'Orsay/RMN Grand-Palais/Patrice Schmidt - Vidéo : ''Pourquoi Vincent Van Gogh s'est-il coupé l'oreille ?'', la chronique du Dr Bruno Halioua, du 25 mars 2014

Vincent Van Gogh est un personnage de légende qui a réalisé une œuvre colossale en à peine dix ans. Entre 1880 et 1890, année où il s'est suicidé, il a été l'auteur de plus de 800 tableaux et de 1.000 dessins. Vincent Van Gogh a été hospitalisé à de multiples reprises en hôpital psychiatrique dont la première fois après s'être tranché l'oreille gauche ce qui n'a pas manqué d'intéresser Antonin Artaud.

Antonin Artaud était à la fois acteur, écrivain, dessinateur et poète et a lui aussi été hospitalisé en hôpital psychiatrique pendant presque six ans entre 1937 et 1943, où on lui a infligé une cinquantaine d'électrochocs. En 1947, à l'occasion d'une visite d'une exposition à Paris, Antonin Artaud s'est rendu à une exposition consacrée à Van Gogh. Il a alors écrit un texte, intitulé "Le suicidé de la société", dans lequel il accusait pêle-mêle la société, le frère du peintre et le docteur Gachet qui s'est occupé de lui au cours des derniers jours de son existence, à Auvers-sur-Oise, d'être responsables de la mort prématurée de l'artiste.

Van Gogh était-il schizophrène ?

Van Gogh ne souffrait pas de schizophrénie. Van Gogh présentait des hallucinations auditives et visuelles et il s'est coupé l'oreille. Or les hallucinations et les automutilations sont rapportées dans la schizophrénie. Mais Vincent Van Gogh n'a pas eu de perturbation franche des fonctions intellectuelles et l'expression de sa pensée était cohérente.

S'il avait été schizophrène, il aurait été incapable de peindre un tableau par jour et d'écrire avec autant de cohérence et de précision les lettres qu'il a adressées à son frère Theo. Concernant l'amputation de son oreille, certains auteurs ont envisagé qu'il présentait une maladie de l'oreille interne qu'on appelle la maladie de Ménière qui est responsable de vertiges, de nausées et surtout d'acouphènes intolérables qui aurait pu le pousser à se couper l'oreille pour soulager les bruits intolérables.

Les troubles psychiatriques de Vincent Van Gogh

Si Van Gogh n'était pas schizophrène, le diagnostic de trouble bipolaire qui a été appelé également folie circulaire, cyclothymie ou psychose maniaco-dépressive semble plus plausible. Pour s'en convaincre, il suffit de lire sa correspondance. La vie de Van Gogh a été marquée par une succession de périodes d'exaltation (phases maniaques) au cours desquelles il était excité et dynamique suivies par d'autres moments, où il était mélancolique et complètement fatigué.

Le diagnostic de trouble bipolaire est conforté par l'existence de personnalités bipolaires dans l'environnement familial de Vincent Van Gogh comme deux de ses frères et une de ses soeurs. Son suicide est également considéré comme la conséquence de l'évolution défavorable du trouble bipolaire dont il souffrait probablement. Avant le suicide, Theo l'avait informé de son départ pour la Hollande ce qui a été considéré comme le facteur déclenchant.

Les effets néfastes de l'absinthe

Il y a eu aussi le rôle de l'absinthe qui favorisait les crises où il souffrait d'hallucinations. Vincent Van Gogh était un consommateur excessif d'absinthe qu'il a commencé à boire à Paris sous l'influence semble-t-il d'Henri Toulouse-Lautrec. Une tentative de sevrage alcoolique a été réalisée au cours de ses hospitalisations à l'hôpital d'Arles et à l'asile de Saint-Remy-de-Provence. Son addiction à l'absinthe l'a conduit à tenter d'avaler le contenu de ses tubes de peinture et du pétrole au cours de l'une de ses crises.

On a alors pensé que Vincent Van Gogh s'était intoxiqué au plomb car on trouve de la céruse de plomb dans les tubes de peinture. D'autant qu'en cas d'intoxication au plomb, il y a des troubles similaires à ceux qui ont été rapportés chez Vincent Van Gogh comme les troubles digestifs : douleurs abdominales (coliques de plomb), les céphalées, les sensations vertigineuses, l'anxiété, l'insomnie qui s'aggravent progressivement pour donner des délires et des hallucinations.

Sa peinture a-t-elle été influencée par ses troubles ?

Sa peinture a en effet été influencée par ses troubles. Preuve en est, sa toile "La nuit étoilée" peinte en 1888. On retrouve à chaque fois la présence quasi constante de la couleur jaune et en particulier la présence de halos jaunes autour des objets dans les toiles réalisées au cours de la dernière partie de sa vie. Son tableau du docteur Gachet avec une tige de digitale à la main a également suggéré chez certains le diagnostic d'intoxication digitalique.

Les hypothèses diagnostiques sur la maladie de Van Gogh reposent avant tout sur l'analyse rétrospective des troubles présentés par Vincent Van Gogh. Et il n'est pas possible de poser un diagnostic formel. Récemment, des historiens ont remis en question l'existence de deux actes réalisés par le peintre dans des moments de souffrance. Concernant l'automutilation de l'oreille, comme l'ont supposé deux historiens allemands, Hans Kaufmann et Rita Wildegans, Paul Gauguin, expert en escrime et maître d'armes civil aurait tranché l'oreille de Van Gogh avec un sabre. Gauguin a eu un comportement étrange à la suite de l'accident. Il a quitté subitement Arles pour Paris le jour même sans prendre ses effets personnels et son matériel de peinture.

Concernant le suicide, tout récemment deux journalistes américains ont remis en question le suicide de Van Gogh après avoir analysé le trajet de la balle et après avoir consulté des centaines de documents. Ils ont conclu qu'il avait été victime d'un homicide probablement involontaire effectué par deux adolescents, les frères René et Gaston Secrétan, qui s'amusaient à tyranniser le pauvre Vincent Van Gogh. Comme quoi le peintre hollandais est entré dans la légende.

Mais il continue à soulever des questions. Aurait-il été possible de guérir Vincent van Gogh ? Quelles auraient été les conséquences d'une guérison sur son style pictural ? Aurait-il connu une célébrité posthume aussi importante que celle qu'il a aujourd'hui s'il ne s'était pas suicidé ? Mais la question qui est restée en suspens et qui continuera à faire couler beaucoup d'encre est celle de l'existence ou non d'une relation entre la créativité artistique et les troubles psychiatriques.

Y ALLER