Nos préférences alimentaires ancrées dans l'enfance

Pourquoi les enfants préfèrent-ils les carottes aux épinards, le sucré au salé ? Le goût d'un enfant dépendrait de la diversité des aliments qui lui sont proposés dans la petite enfance, et même avant, dès la vie intra-utérine. L'allaitement et la diversification alimentaire apparaissent comme des périodes clés dans l'apprentissage gustatif. Explications.

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
Rédigé le , mis à jour le
image d'illustration. La Salmonelle est la bactérie le plus souvent retrouvée en cas d'intoxication alimentaire collective.
image d'illustration. La Salmonelle est la bactérie le plus souvent retrouvée en cas d'intoxication alimentaire collective.
Allaitement : le goût du lait varie avec les aliments consommés par la mère
Allaitement : le goût du lait varie avec les aliments consommés par la mère
Alimentation : entre 2 et 6 ans les enfants deviennent difficiles
Alimentation : entre 2 et 6 ans les enfants deviennent difficiles

Chez le fœtus, le goût et l'olfaction se mettent en place dès le quatrième mois, il découvre alors les différentes saveurs grâce aux aliments mangés par la maman. Ceux-ci passent dans son sang, puis dans le cordon ombilical pour aller nourrir le fœtus. Il fait aussi ses premières expériences gustatives et olfactives par l'intermédiaire du liquide amniotique qu'il avale, et dont le goût est influencé par l'alimentation maternelle, puisque le sens de l'olfaction est fonctionnel dès le deuxième trimestre de grossesse.

Une étude du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) a ainsi montré que les foetus étaient particulièrement sensible au sucré. Mais si une femme enceinte consomme de l'anis, son bébé sera attiré par cette odeur au quatrième jour après la naissance. Et si elle boit du jus de carotte, lorsqu'il sera âgé de 6 mois, il acceptera d'autant plus facilement les aliments qui en contiennent (1).

Dès la naissance, le bébé a une préférence naturelle pour les composés gras et sucrés et une aversion spontanée pour les composés amers. Ce goût a une valeur adaptative puisque cela conduit le bébé à aimer ce qui est bon pour lui, le lait de sa mère, et ce qui va le nourrir suffisamment. L'élargissement du répertoire gustatif se fait ensuite progressivement, d'autant plus que l'on présente à l'enfant des arômes différents. L'allaitement puis la diversification vont alors jouer un rôle majeur dans l'acquisition du sens gustatif.

Lors de l'allaitement, le goût du lait varie avec les aliments consommés par la mère. Cela lui confère un attrait supplémentaire par rapport au lait industriel puisque ses arômes sont ainsi beaucoup plus variés… De plus, les enfants allaités plus longtemps accepteraient plus facilement les légumes au début de la diversification et ils consommeraient une plus grande variété d’aliments, notamment une plus grande variété de légumes entre 2 et 3 ans, d'après une étude de Sylvie Issanchou, chercheuse à l'INRA, l'institut national de recherche agronomique (2).

Varier les goûts et les textures entre 5 et 8 mois

La diversification apparaît comme une période essentielle dans l'apprentissage du goût et des textures. Et la consommation d'aliments variés favorise là encore l'acceptation de nouvelles saveurs. Les fruits sont plus facilement acceptés parce qu'ils sont sucrés. En revanche ce n'est pas le cas des légumes du fait de leur amertume et de leur acidité, il faut malgré tout persister à en donner par petite touche. C'est le moment de faire goûter de nouvelles textures et de le faire avant 9 mois : plus le bébé aura goûté de nouveaux aliments entre 5 et 8 mois, notamment des légumes, plus sa réaction sera positive ultérieurement entre 8 et 15 mois.

A partir de 2 ans, ça se corse

On constate à partir de la diversification, mais surtout entre 2 et 6 ans, une augmentation du pourcentage d'enfants difficiles. "C'est ce que l'on appelle la "néophobie", commente le Dr Brigitte Boucher, nutritionniste. Il semble délicat d'introduire un nouvel aliment à cet âge-là pour les enfants "difficiles". "Il faut cependant présenter de façon répétée les aliments nouveaux, de manière à les faire goûter au moins, sans se cristalliser sur la quantité acceptée". Mieux vaut s'armer de patience et d'espoir : cette néophobie s'atténue quand les enfants vieillissent.

L'attitude des parents, déterminante dans l'apprentissage du goût

Lors de ses recherches, Sylvie Issandrou a constaté qu'en cas de refus, "il convenait de persister et de le proposer à l'enfant au moins huit fois, et non d'arrêter au bout de deux ou trois fois". Faire goûter, oui, mais ne pas forcer l'enfant à finir... Quelques astuces peuvent aider : "Voir le parent (ou équivalent) manger avec plaisir le nouvel aliment permet à l'enfant de s'identifier et de moins redouter la nouveauté", conseille le Dr Brigitte Boucher. Le faire manger dans un contexte chaleureux est essentiel également.

A éviter, la "récompense" qui fait chuter la valeur hédonique de l'aliment. Et le simple fait de goûter permet à l'enfant d'identifier l'aliment comme sûr (n'entraînant pas d'effet gastro-intestinal négatif), ainsi que d'associer son goût à sa valeur calorique. Il l'associera ensuite à la sensation de satiété, ressentie comme positive dès lors qu'il en mangera suffisamment.

L’évolution des préférences

"Les choix que font les enfants à 2-3 ans se répercutent ultérieurement, même si l'adolescence peut entraîner une légère modification" selon S. Issanchou. (2) Pas de panique pour autant, l'attirance pour les fruits, les légumes cuits, les crudités et les plats composés peut évoluer de façon positive, en continuant à en proposer avec régularité ! Et un petit enfant qui n'aime pas les épinards pourra les apprécier ultérieurement.

Car en bas âge, les légumes, par exemple, n'ont que peu d'attraits : ils sont faibles en calories et leur acidité, leur amertume ou encore leur texture fibreuse plaisent rarement. En donner à cet âge favorisera leur consommation ultérieure, mais plutôt chez les filles que chez les garçons, si l'on en croit les recherches de Sophie Nicklaus.

En règle générale, les enfants aiment la viande, en dépit des difficultés à la mastiquer. Les chercheurs l’expliquent par cette appétence spontanée par le contenu riche en protéines. En revanche à l’adolescence, les demoiselles l’apprécient moins, un choix sans doute lié à la représentation masculine (symbole de force, de virilité) de la viande. Elle est de plus souvent perçue de façon globale comme un aliment riche et gras, un facteur négatif à un âge où le poids est souvent surveillé. A l'adolescence, les filles peuvent alors consommer des légumes pour la santé.

Apprendre aux enfants à manger n'a pas seulement une vertu éducative et nutritionnelle. Cultiver leur goût revient à leur transmettre le plaisir de manger : c'est un cadeau précieux dont ils bénéficieront toute leur vie  !

(1) Human Foetuses Learn Odours from their Pregnant Mother’s Diet, Benoït Schaal, Luc Marlier, Robert Soussignan, Chemical senses, (2000) 25 (6): 729-737
(2) Préférences alimentaires : de l'importance de la petite enfance, S. Issanchou, Sophie Nicklaus (INRA)


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