Pourra-t-on un jour greffer des coeurs de porc à l'humain ?

Une série d’expériences menées par des chercheurs allemands a permis d’identifier un protocole triplant la durée de survie de primates après l’implantation de cœurs de porcs.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Image d'illustration : un babouin (Papio anubis) / cc-by-sa Yathin S. Krishappa
Image d'illustration : un babouin (Papio anubis) / cc-by-sa Yathin S. Krishappa

Près de 90% des personnes en attente de greffe de cœur ne trouveront jamais de donneur. Parmi les pistes de solution à cette pénurie, celle de greffons originaires d’une autre espèce animale n’a plus rien d’un fantasme d’auteur de science fiction.

Les cochons possédant plusieurs organes d’une taille comparable à celle des humains, ils font figure de candidats privilégiés aux yeux des chercheurs. Durant la dernière décennie, de nombreuses expériences de xénogreffes ont été menées vers des singes rhésus ou des babouins, notamment concernant des reins (record de 435 jours) ou des cœurs implantés en marge du système circulatoire – sans ôter le cœur fonctionnel de l’animal – pour étudier les mécanismes de rejet (record de 945 jours).

De véritables xénogreffes cardiaques ont également été menées, avec une survie jusqu’à présent limitée à 57 jours (le décès des animaux apparaît généralement lié à une coagulation anormale du sang dans les vaisseaux du greffon). Selon une étude publiée ce 5 décembre dans la revue Nature, un nouveau record vient d’être établi dans cette dernière catégorie : 195 jours, soit plus de six mois de survie, avec un cœur de cochon chez un primate non-humain.

Immunosuppresseurs, modifications génétiques et cœurs sous perfusion

Des chercheurs basés à Munich ont débuté une série d’expériences en 2015, impliquant 14 babouins. Leur objectif était d’évaluer trois protocoles permettant d’allonger la survie avec un greffon issus de porcelets. Si les deux premières expériences ont échoué, notamment du fait de la croissance rapide des cœurs de porcs, la troisième s’est révélée pertinente.

Pour le greffon, les chercheurs ont recouru à des porcelets génétiquement modifiés pour produire de la thrombomoduline, qui limite les risques de coagulation dans les vaisseaux cardiaques. Une fois les organes prélevés, les chercheurs ont opté pour une solution inhabituelle : plutôt que de les conserver dans la glace le temps de l’opération, ils les ont perfusés avec une solution oxygénée, à 8°C, à base de sang et de nutriments.

Pour limiter la croissance des cœurs de porcs, l’équipe munichoise a administré aux babouins un traitement hormonal ainsi que des médicaments limitant la prolifération des cellules cardiaques et la production de certains facteurs de coagulation.

Enfin, pour limiter les risques de rejet, elle a recouru au cocktail d’immunosuppresseurs (antirejet) identifié au cours des essais de greffes en marge du système circulatoire, bien toléré par l’organisme des primates.

Quatre babouins ont survécu trois mois

Cinq babouins ont été impliqués dans cette expérience. Le premier d’entre eux a développé des complications liées au traitement, et a été euthanasié 51 jours après la greffe. Les quatre autres étaient en bonne santé à l’issue du troisième mois – durée de suivi initialement prévu pour l’expérimentation. Plutôt que d’euthanasier ces quatre animaux pour étudier les effets du traitement sur l’organisme, les chercheurs ont prolongé l’expérience trois mois supplémentaires pour deux d’entre eux.

Seule une analyse plus approfondie permettra de déterminer les facteurs qui ont contribué à ce succès expérimental.

Des essais sur l'homme ?

En 2000, la Société internationale pour la transplantation du coeur et du poumon avait recommandé que l’expérimentation sur l’homme d’une greffe inter-espèce ne soit envisagée qu’à partir du moment où 60% des essais sur le primate suivant un protocole donné entraîneraient une survie au-delà de 3 mois.

Si ce seuil symbolique semble pouvoir être atteint à court terme, certains auteurs ont récemment appelé à la plus grande prudence. En 2017, le chercheur allemand Joachim Denner observait que les greffons porcins augmentaient le risque de contracter des pathologies liées à des agents pathogènes ciblant ces animaux. Par ailleurs, des considérations éthiques sont soulevées par ces recherches. Avec le développement prometteur de cœurs artificiels autonomes, le recours à des greffons animaux et leur cortège de traitements au long cours ne s’impose pas comme une évidence.

la rédaction d’Allodocteurs.fr

Source : M. Längin et al. "Consistent success in life-supporting porcine cardiac xenotransplantation" Nature, décembre 2018. doi:10.1038/s41586-018-0765-z