Une femme tuée par son (ex)-compagnon tous les deux jours et demi

Le corps de la 51ème victime de l’année a été retrouvé dans une valise jetée dans l’Oise. L’ex-conjoint est toujours en fuite.

Maud Le Rest
Rédigé le
Une femme tuée par son (ex)-compagnon tous les deux jours et demi
© Stefano Gasparotto / FOTOLIA

"Lundi 22/04 à Neuville-sur-Oise (Val-d’Oise), le corps de Marie-Alice Dibon (53 ans) a été retrouvé nu dans une valise flottant sur l'Oise. Son ex-compagnon (sexagénaire) est soupçonné du meurtre, il est recherché sous mandat d'arrêt international." Le dernier tweet du collectif Féminicides par (ex)compagnons [1], qui date du 7 mai, fait état d’une 51ème Française tuée par son conjoint ou ancien conjoint depuis le début de l’année. Un chiffre qui porte la moyenne à une femme tuée par son compagnon ou ex-compagnon tous les deux jours et demi, contre une femme tuée tous les trois jours en 2018.

"Les femmes ne bénéficient d’aucune protection quand elles quittent leur conjoint"

Comment expliquer cette macabre progression ? Pour l'initiatrice du mouvement Nous Toutes, Caroline De Haas, il n'y a pas davantage de meurtres, mais avant tout un meilleur décompte, et une meilleure qualification des faits dans les médias. Une autre piste de réflexion est celle de la libération de la parole. Depuis les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc en effet, "les femmes revendiquent davantage leur liberté, mais elles ne bénéficient d’aucune protection quand elles quittent leur conjoint" nous expliquait en mars dernier une des administratrices du collectif Féminicides par (ex)compagnons.

Il existe en outre un obstacle majeur à la lutte contre les féminicides : la sous-utilisation des ordonnances de protection. "En Espagne, on en délivre 23.000 par an, contre 1.300 en France" note Caroline De Haas. "Et il n'y a pas besoin de porter plainte pour obtenir une telle ordonnance" précise la militante, qui ajoute qu'il suffit d'envoyer un dossier au juge des affaires familiales. Les plaintes pour violences conjugales sont par ailleurs souvent très mal reçues. Caroline De Haas se souvient d'un témoignage particulièrement glaçant : après avoir relaté les violences qu'elle avait subies aux policiers, la victime s'était vu rétorquer que la police "ne se déplaçait pas pour un balai cassé".

Autres freins à la protection des femmes victimes : la relativisation des crimes et l’inversion de la culpabilité. Dans les réponses aux tweets de Féminicides par (ex)compagnons, beaucoup d'internautes se demandent pourquoi la victime n’est pas partie avant le meurtre. Un argument qui ne tient pas pour plusieurs raisons. Tout d’abord, certaines sont sous l’emprise de leur conjoint et/ou en difficulté financière, parfois avec des enfants à charge. Par ailleurs, la séparation n’est aucunement gage de sécurité. "Même quand une interdiction d’approcher est décidée par la justice, certains ex-compagnons reviennent, ils passent outre la loi" indiquait l’administratrice de Féminicides par (ex)-compagnons.

"Nous voulons que chaque victime soit nommée"

Le collectif entend donc, grâce à son activisme sur les réseaux sociaux, rendre le fléau des féminicides plus visible. "Le ministère de l’Intérieur publie une étude tous les ans sur les morts violentes au sein du couple, avec des formules du type « une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint… », mais ça ne visibilise pas assez le problème. Nous voulons que chaque victime soit nommée" ajoutait en mars la militante de Féminicides par (ex)compagnons.

De son côté, Caroline De Haas se veut relativement optimiste. Elle estime notamment que les dysfonctionnements de la police et de la justice en termes de protection des victimes sont plus fréquemment dénoncés. Mais une prise de position radicale des pouvoirs publics reste essentielle, comme pour le tabagisme, le tri des déchets ou la sécurité routière. "Grâce à des mesures fortes dans ces domaines, la société a radicalement changé en 20 ans", note la militante.

En 2016, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, seules 14% des victimes de violences conjugales ont déposé plainte. Parmi ces plaintes, on estime que 8 sur 10 sont classées sans suite. Si vous êtes victime de violences conjugales, vous pouvez demander une ordonnance de protection et vous tourner vers une association ou un avocat.e pour être accompagnée. Vous pouvez également joindre la ligne "Violences Femmes info" au 3919. L'appel est anonyme et gratuit. La plateforme garantit  un accompagnement et une prise en charge adaptés.


[1] Féminicides par (ex)compagnons est un collectif bénévole présent sur Twitter et Facebook actif depuis 2016. Il établit un décompte indépendant mis à jour quotidiennement.