Attentats : les blessés, dix jours après
Dix jours après les attentats de Paris, 169 personnes sur les 350 blessés sont toujours hospitalisées. Elles ont souvent été opérées une première fois en urgence. Puis, elles ont parfois dû - ou devront - subir d'autres interventions. Les explications du Pr Emmanuel Masmejean, chirurgien orthopédiste, à l'hôpital européen Georges-Pompidou de Paris. Il a opéré des blessés dès le 13 novembre 2015.
- Pourquoi certains blessés doivent-ils être opérés plusieurs fois ?
Pr Emmanuel Masmejean : "Certains patients doivent être réopérés parce que la chirurgie qui a été faite était une chirurgie de guerre. Il a fallu stabiliser toutes les lésions, donc les fractures ne se sont pas forcément bien positionnées. Certaines vont s’infecter. Il y a des lésions des nerfs également. Quand la balle a retiré une partie du nerf, il va falloir faire des greffes nerveuses secondaires. On ne peut pas prédire aujourd’hui les patients qui vont devoir être réopérés, mais on sait déjà de façon certaine qu'un certain nombre d’entre eux devront être réopérés."
- Quelles sont les blessures les plus compliquées à prendre en charge ?
Pr Emmanuel Masmejean : "En orthopédie, ce sont les plaies des membres qui peuvent associer des fractures, des lésions des artères, des vaisseaux, des nerfs, des muscles, des parties molles… Donc c'est tout ce qui compose un membre qui peut être abîmé. Et quand tout est en même temps abîmé, ça complique considérablement les choses. Et encore davantage s'il y a une lésion du thorax, de l’abdomen… On va donc hiérarchiser la chirurgie, c’est ce qu’on a fait à Pompidou. On a vu des équipes se succéder, d’abord les opérations vitales donc le thorax et l’abdomen et ensuite nous, aux niveaux des extrémités."
- Y a-t-il des risques particuliers d'infections pour ces blessures par balles ?
Pr Emmanuel Masmejean : "Oui, la balle c'est quelque chose de salle, les tissus sont contaminés. De plus, les patients que j'ai opérés sont restés longtemps dans la fosse du Bataclan, c'est-à-dire qu'il y a eu une contamination par le sang des autres également. Ils étaient au contact d'un sang qu'on ne connaît pas. Le risque a été évalué pour chaque individu. En fonction des cas, certains ont eu un traitement de prévention contre le sida."
- Comment articulez-vous votre travail de chirurgien et le soutien psychologique des patients ?
Pr Emmanuel Masmejean : "Il faut mener de front les opérations chirurgicales et le soutien psychologique. Ce sont des patients merveilleux car ils racontent les événements de façon assez naturelle… Je crois qu'ils ont besoin de parler. Et nous, en même temps, on a besoin de comprendre. Aucun ne veut témoigner devant les médias. Mais, ils ont accepté les prises en charge psychologiques. Ils auront tous un suivi psychologique.
"Les patients que j'ai opérés sont déjà pour certains sortis en hospitalisation à domicile. Il y aura donc tout ce suivi-là. A l'hôpital, ce sont des patients qui sont très entourés, c'est-à-dire que les chambres sont pleines. Malheureusement, on les reconnaît aussi parce que souvent les visiteurs sont en noir. On arrive à peu près à comprendre le contexte pour des chambres de patients qu'on ne connaît pas. Maintenant, ces patients sont pour l'instant en action et le jour où l’action va diminuer ce sera aussi sûrement dur et il faudra anticiper ce vide."
- Les équipes de soignants ont-elles eu besoin d'un soutien psychologique ?
Pr Emmanuel Masmejean : "Les équipes ont été touchées clairement, notamment peut-être les plus jeunes. Je ne sais pas dans quelle catégorie je dois me positionner... Certains jeunes ont été touchés, des chirurgiens, les panseuses également du bloc opératoire. A Pompidou, deux d’entre elles sont en arrêt maladie. Elles revoient les images, font des cauchemars… Et d’autres ont demandé des entretiens psychologiques.
"Moi, j'ai envoyé un mail à mon équipe chirurgicale en leur disant : « Est-ce que vous voulez qu'on en parle ? ». Un de mes collaborateurs m'a répondu : « Est-ce qu'il y aura de la bière ? ». Il prend les choses avec humour et ce n’est pas forcement une mauvaise chose. Je ne connais pas de chirurgiens qui ont demandé des prises en charge spécifiques. Certains l'ont peut-être fait. Je n'ai pas à juger, c'est très bien."
- Comment va se dérouler la rééducation de ces patients? A-t-elle déjà commencé pour certains d’en eux ?
Pr Emmanuel Masmejean : "Pour les patients que j’ai opérés, non. J'ai pris en charge des plaies de la cuisse avec des lésions du nerf sciatique, mais ces deux patients remarchent car les nerfs sciatiques n'étaient pas abîmés. Pour d'autres patients, la rééducation a dû commencer. Pour ceux qui vont avoir des greffes nerveuses du nerf sciatique, on est en revanche parti pour un très long processus de rééducation."