Prudence après l'annonce d'un nouveau traitement de la maladie d'Alzheimer

Le laboratoire Biogen affirme que la molécule qu'il a développée donnait des résultats positifs. Mais les médecins sont loin de crier victoire.

Héloïse Rambert
Rédigé le
Prudence après l'annonce d'un nouveau traitement de la maladie d'Alzheimer

La nouvelle a de quoi faire renaître l’espoir parmi les malades et les spécialistes. Le laboratoire Biogen a annoncé qu'il souhaitait demander une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour son traitement expérimental contre la maladie d’Alzheimer : l’aducanumab. La molécule aurait montré une efficacité pharmacologique et clinique non pas pour prévenir ou guérir la maladie, mais pour ralentir son évolution chez des patients qui présentent des symptômes encore légers.

Cette annonce est des plus inattendues car elle fait suite à l’abandon de deux essais cliniques pour cette même molécule, par le même laboratoire, pour cause d’inefficacité.

Un médicament d’une classe déjà bien connue : les anticorps monoclonaux

Aducanumab est administré sous forme de perfusion intraveineuse une fois par mois.

La molécule est un anticorps monoclonal, un type de médicament coûteux qui se fixe à des protéines spécifiques afin de les désactiver. Le médicament élimine une protéine clé de la maladie d'Alzheimer – le peptide amyloïde - qui s'accumule en plaques dans le cerveau des patients.

Cette classe de médicaments est loin d’être nouvelle. "Des molécules de ce genre font l’objet d’essais cliniques depuis le début des année 2000", rappelle Le Pr Claire Paquet, neurologue, cheffe de service du centre de neurologie cognitive à l’hôpital Lariboisière (Paris) et l’une des investigatrices des essais cliniques qui ont été menés à l’échelle mondiale. Ces anticorps monoclonaux n’avaient jamais montré une efficacité significative dans le ralentissement de la maladie.

Une molécule testée dans deux études parallèles

Aducanumab a été testée dans deux études appelées EMERGE (1 638 patients) et ENGAGE (1 647 patients) dans le but d’évaluer l'efficacité et la sécurité de différentes doses mensuelles d'aducanumab pour réduire les déficiences cognitives et fonctionnelles chez les malades d’Alzheimer à un stade débutant.

Pour qu’un produit puisse obtenir une autorisation de mise sur le marché, il faut qu’il puisse justifier d’effets positifs dans deux études. "De ce fait, quand les laboratoires conduisent des essais thérapeutiques dans la maladie d’Alzheimer, ils engagent deux essais en parallèle, dans des parties du monde différentes", explique la neurologue.

Un arrêt des essais thérapeutiques pour cause d’inefficacité

En mars dernier, les deux études ont été stoppées. "Le laboratoire, à un moment donné de l’essai, a fait ce qu’on appelle une analyse de futilité. C’est ce qui est fait, pour faire simple, pour savoir s'il y a une chance que la molécule fonctionne, explique le médecin. Cette analyse s’est avérée négative et l’essai de l’aducanumab a été arrêté dans tous les centres mondiaux."

Nouvelle analyse en prenant en compte des données supplémentaires

Le laboratoire explique avoir refait des analyses mais en tenant compte de données supplémentaires. "Quand les bases de données ont été gelées pour faire cette analyse de futilité, il y avait encore des patients qui étaient en train de recevoir des perfusions. Et on a continué à colliger les données, rapporte le Pr Paquet. A posteriori, les analyses de futilité ont été refaites en incluant tous les patients qui avaient reçu les 18 mois de traitement attendus.18 mois de traitements à différentes doses, contre placebo."

Une seule étude positive sur deux 

L’essai EMERGE a atteint son objectif principal : réduire de 27 % le déclin clinique dans le groupe ayant reçu le traitement à la dose la plus forte, comparé au groupe placebo. Et c’est une première. "On savait déjà que les anticorps monoclonaux "enlevaient" le peptide amyloïde. Mais on n’avait jamais montré que le fait d’enlever cette protéine ralentissait l’évolution de la  maladie", souligne le Pr Paquet.

Mais ces effets positifs n’ont été constatés dans la cohorte ENGAGE.

Vers une demande d’autorisation de mise sur le marché ?

Suite à cette nouvelle, Biogen a affirmé souhaiter soumettre un dossier d’autorisation de mise sur le marché de l’aducanumab à la FDA (Food and Drug Administration), autorité de santé des Etats-Unis, au début de l’année 2020. La FDA aurait donné son aval pour un dépôt de dossier. "Mais ce dépôt résultera d’une analyse des données, des statistiques, de critères d'évaluation, des effets du traitement et de sa sécurité", explique le Dr Maï Panchal, directrice scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer, dans un communiqué. Il est très probable que la FDA demande la confirmation des résultats dans une deuxième étude.

Appel à la prudence

Malgré l’aspect très encourageant de l’annonce de Biogen, il faut rester mesuré. Même si la molécule confirme son intérêt et obtient une AMM, les discussions débuteront pour le remboursement avec les autorités de santé. Et elle concernerait, de toute façon, très peu de personnes. Elle s’adresserait à des malades d'Alzheimer présentant des symptômes très légers. Tous les patients ne seront pas éligibles pour ce traitement qui n’a montré une efficacité que des cas débutants.

Le Pr Marie Sarazin, neurologue à l’hôpital Saint-Anne (Paris), qui n’a pas participé à l’essai, invite elle aussi à la plus grande prudence, même si elle "ne demande qu’à y croire". "C’est encourageant, mais il s'agit juste d'une annonce du laboratoire. Il a d’ailleurs tout de suite grimpé en bourse et fait des annonces aux investisseurs. Il n’y a aucune publication. En décembre, le laboratoire va présenter en congrès des informations qu’il va lui-même filtrer", note-elle.

"Tant qu’on n’a pas les détails, il faut garder l’envie d’y croire mais rester prudent sur la possibilité qu’on passe rapidement à un enjeu thérapeutique pratique pour les malades", conclut le Pr Sarazin