Que va changer la levée partielle de l'anonymat des donneurs de gamètes?

Le projet de loi bioéthique prévoit de révéler l'identité des donneurs s'ils l'acceptent. En conséquence, les gamètes collectés avant la nouvelle loi devraient être détruits.

Maud Le Rest
Rédigé le , mis à jour le
Que va changer la levée partielle de l'anonymat des donneurs de gamètes?

Ce 24 juillet, le projet de loi bioéthique, qui devrait être discuté à l'Assemblée nationale cet automne, est présenté en Conseil des ministres. Il prévoit, entre autres, un élargissement de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, ainsi qu’une levée de l’anonymat des donneurs et donneuses de gamètes si ceux-ci n’y voient pas d’inconvénient. Encore aujourd’hui, révéler l’identité d’un donneur est interdit en France.

"Il est prévu de mettre fin à la conservation de tous les gamètes recueillis avant la loi"

"Il va falloir recruter de nouveaux donneurs qui acceptent une levée de leur anonymat quand l'enfant aura 18 ans […]. Pour ce faire, le projet de loi [ndlr de bioéthique] impose la destruction de tous les ovocytes et spermatozoïdes congelés" s’est inquiétée la Pre Nelly Achour-Frydman dans Le Point le 22 juillet. Aussi la responsable du Centre d'études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) de l'hôpital Antoine-Béclère craint-elle, entre autres, une pénurie de gamètes sur le moyen terme si le texte de loi bioéthique est gardé en l’état.

L’avocate Audrey Kermalvezen a fondé l’association Origines. Elle milite pour la PMA pour toutes ainsi que pour une facilitation de l’accès aux origines pour les enfants issus d’un don. Elle-même, née d’un donneur, comprend les inquiétudes de la Pre Achour-Frydman. "J’ai lu l’avant-projet de loi bioéthique. En effet, il est prévu de mettre fin à la conservation de tous les gamètes recueillis avant la loi. Et ça, c’est choquant" affirme-t-elle.

Pourquoi présumer que les donneurs seront contre ?

D’autant que les raisons invoquées par plusieurs députés sont loin de la convaincre. "Certains m’ont expliqué qu’étant donné qu’on changeait le règlement sur l’anonymat, les anciens donneurs pouvaient ne pas être favorables à la nouvelle loi. D’autres m’ont affirmé que c’était parce que certains donneurs ne voulaient aider que les couples hétérosexuels…" Mais quel que soit le motif invoqué, il est absurde de présumer que les donneurs seront forcément contre l’élargissement de la PMA et le changement des règles sur l’anonymat, estime Audrey Kermalvezen.

L’avocate rappelle par ailleurs que des précédents historiques ont montré les failles de ces arguments. "En 1994, la limite était de cinq utilisations par donneur. En 2004, elle est passée à 10 utilisations. A aucun moment on ne s’est soucié de savoir si ceux qui avaient déjà donné étaient d’accord ou pas !" développe-t-elle.

De plus, dans les pays où les règles sur l’anonymat des donneurs ont été allégées, on n’a pas – ou peu – constaté de diminution des dons. "Le seul risque qui existe, c’est que, comme en Suède, il y ait une baisse momentanée de dons sur une année après la levée de l’anonymat, avec plus de demandes en parallèle", concède Audrey Kermalvezen. Elle prend également l’exemple du Royaume-Uni, où, depuis 2005, date du changement en matière d’anonymat, les dons n’ont cessé de croître, et de la Finlande, où on constate une augmentation du nombre de donneurs de gamètes depuis la réforme de 2006.

Contacter les donneurs un par un, "c’est faisable"

Ce qu’il faudrait donc faire, pour Audrey Kermalvezen, c’est contacter les donneurs un par un. D’une part pour les informer que des changements majeurs sont à prévoir, puis pour leur demander s’ils y sont favorables. "Il y a environ 400 donneurs par an, c’est faisable ! Au Portugal, ils ont procédé de cette façon, et presque tous les donneurs ont répondu favorablement. Et la loi est passée en 2019…" argumente l’avocate.

Solution proposée par Origines : la création d’une plateforme Internet de mise en ligne anonyme entre donneurs et enfants issus de don. Sur la base du volontariat, donneurs et receveurs pourraient se connecter, tout comme les Cecos. "Cela servirait à transmettre des informations médicales à l’enfant et aux parents, et, si le donneur est d’accord, de le mettre en relation avec l’enfant" résume Audrey Kermalvezen. Le site serait géré par une autorité indépendante placée sous la tutelle du ministère de la Santé.

Les membres de la plateforme recevraient un kit de recueil salivaire d’ADN. Une fois le prélèvement effectué, ils l’enverraient à un laboratoire pour le faire analyser. La personne recevrait un mail une fois les résultats prêts. La personne saurait ensuite si un autre membre de la plateforme possède un ADN compatible. Si une rencontre est envisageable, elle serait encadrée par l’organisation.

Le problème des tests ADN

Problème : de tels tests ADN ne sont pas légaux en France. Mais dans les faits, de nombreux Français issus de dons envoient des prélèvements salivaires aux États-Unis ou en Israël, où ils sont autorisés. "Aujourd’hui, on peut télécharger son ADN brut, et des sites analysent vos prédispositions médicales. On fait donc circuler des données sensibles" constate l’avocate. Pour elle, si changement des règles de l’anonymat il y a, il doit être accompagné d’une légalisation des tests ADN. A défaut, la loi sera obsolète avant même d’avoir été votée.

"Il faut que la future loi légalise et encadre ces tests ! Mais ce n’est pas inscrit dans l’avant-projet", regrette l’avocate. Si les députés auront encore l’occasion d’amender le texte, Audrey Kermalvezen n’est pas certaine qu’ils aient bien saisi l’importance de la question. D’après elle par ailleurs, si la loi passe en l’état, elle sera totalement inadaptée à la société dans laquelle vivront les majeurs de demain, plus nombreux, et pour qui les tests ADN seront encore plus accessibles. "Les enfants concernés aujourd’hui auront 18 ans en 2040 ! Imaginez, il y aura beaucoup plus d’utilisateurs !"