Doomscrolling : quand l'excès d'informations négatives rend malade

À l'heure où les flux d'informations sont omniprésents, certaines personnes développent une véritable addiction aux mauvaises nouvelles. Les éclairages du psychologue et psychanalyste Michaël Stora.

Muriel Kaiser
Muriel Kaiser
Rédigé le , mis à jour le
Doomscrolling  —  Allo Docteurs

Vous est-il déjà arrivé de faire défiler les mauvaises nouvelles les unes après les autres sur votre téléphone sans vous arrêter ? Cette "pratique" porte un nom : le doomscrolling. À distinguer du fait de "scroller" à l'infini "au point de se vider la tête, atteindre une forme de vide de la pensée tel un état hypnotique", comme le décrit Michaël Stora, psychologue, psychanalyste et fondateur de l'Observatoire des mondes numériques en sciences humaines.

Le doomscrolling est d'autant plus courant que nous sommes tous confrontés quotidiennement à un énorme flux d'informations. Spoiler : beaucoup d'entre elles sont négatives. Or ce sont précisément elles qui marquent le plus notre esprit : c'est ce que l'on appelle le biais de négativité. Cela signifie qu'une information négative a un effet plus important sur le mental qu'une positive.

Ne plus arriver à s'arrêter

Si "l'information de manière globale est rarement positive", confirme Michaël Stora, "on note une préoccupation collective à savoir ce qui se passe dans le monde, ce qui est signe de bonne santé", tempère-t-il. D'autant plus que le flux d'informations ne date pas des réseaux sociaux. "C'était déjà le cas avec les chaînes d'informations en continu", explique le professionnel.

Le problème, c'est quand l'excès d'informations occasionne un mal-être. La personne peut alors souffrir d'anxiété, voire de dépression. Dans le cas du doomscrolling, elle n'arrive pas à s'arrêter de regarder des informations négatives. Michaël Stora a lui-même expérimenté ce phénomène dans une certaine mesure. "J'écoutais énormément Franceinfo. Je me suis rendu compte que je ne me sentais pas bien". Depuis, "j'ai arrêté et ça va mieux".

À lire aussi : Dérèglement climatique : "Tant que les choses ne bougent pas, on sera éco-anxieux"

Une compulsivité qui répond à notre état intérieur

Comment expliquer ce phénomène du doomscrolling ? Si les informations peuvent rendre anxieux, le fait de ne pas arriver à décrocher du flux négatif peut aussi être analysé dans l'autre sens. "Est-ce que c’est parce que la personne ne va pas bien qu’elle se nourrit de ces images ? Le doomscrolling vient en effet nourrir un vide", explique Michaël Stora.

"Si j'ai besoin de regarder en boucle des mauvaises nouvelles, je projette à l’extérieur ce qui se passe à l’intérieur car ça peut expliquer mon mal-être", poursuit le spécialiste. D'autant plus que chez l'adulte, "l'anxiété est une manière de se défendre d’un effondrement dépressif". Cela peut expliquer pourquoi on retrouve une forme de "compulsivité, voire d'addiction", dans le doomscrolling.

Passer du chat mignon à la guerre en Ukraine

"Une autre forme de violence existe : le sans transition", ajoute Michaël Stora. La manière dont sont constitués les réseaux sociaux perturbe notre cerveau qui a besoin de cohérence narrative. Cela signifie qu'on a besoin de faire du lien. Or lorsque l'on scrolle, on passe du coq à l'âne, ou plutôt d'une image "trop mignonne" à une image de guerre. 

Et le sans transition créé de l'anxiété. À force d'être confrontés à ce manque de cohérence narrative, "on peut finir par ne plus être cohérents nous-mêmes. On est confrontés à une sorte d’afflux d’images qui n’aide pas toujours à comprendre ce qui nous arrive".

Il s'agit même d'une stratégie pour inciter les utilisateurs à continuer de défiler. "Les fils doudous - le contenu réconfortant que la personne aime regarder - sont repérés. L'usager voit ensuite une image choquante qui créé de l'angoisse, ce qui l'amène à vouloir se réconforter avec d'autres images. Ainsi, il continue de scroller".

Comment y remédier ?

"Si on se rend compte que ça nuit à notre santé, que ça inonde, il faut se sevrer". Michaël Stora conseille de prendre le temps de faire autre chose. Lire, regarder des documentaires... quitte à ce qu'ils abordent justement des thèmes anxiogènes.

L'idée : "ne pas rester dans la sidération de l'image ou du gros titre". Le psychanalyste l'a par exemple fait pour envisager autrement la crise économique qui l'angoissait. "Je me suis dit qu'il fallait que je comprenne ce qui est en train d’arriver". C'est précisément cette compréhension qui permet de faire baisser l'anxiété. Vous pouvez aussi vous sevrer complètement en décrochant de l'information pour un moment.

Dépression : que se passe-t-il dans le cerveau ?
Dépression : que se passe-t-il dans le cerveau ?  —  Le Mag de la Santé - France 5