Thérapie du miroir : duper le cerveau pour soulager

Comment soulager les douleurs fantômes suite à une amputation ? Que faire pour aider les personnes paralysées d'un membre ? La technique du miroir, mise au point aux Etats-Unis, est une option thérapeutique. Observer son membre fonctionnel bouger dans la glace, pourrait permettre de tromper le cerveau. Et procurer, dans certains cas, un apaisement.

Héloïse Rambert
Rédigé le , mis à jour le
Thérapie du miroir : duper le cerveau pour soulager
La thérapie du miroir pour soulager des douleurs fantômes après une amputation
La thérapie du miroir pour soulager des douleurs fantômes après une amputation

La scène se déroule à Kampong Chhnang, au Cambodge, et a de quoi surprendre. Un homme amputé tient un miroir entre ses jambes, sous l'œil d'une dizaine de kinésithérapeutes.

S'il a perdu sa jambe sur une mine anti-personnelle depuis plus de 30 ans, les douleurs fantômes qui l'assaillent n'ont jamais cessé. Il espère calmer ses souffrances grâce à une thérapie originale : la thérapie du miroir. Une méthode qui a pu être élaborée grâce à une bonne connaissance du fonctionnement de notre cortex cérébral.

Cortex et conscience du corps

Comment savons-nous que notre corps est à nous et que nous pouvons le bouger ? Grâce à notre cortex. C'est lui qui nous permet d'avoir conscience de la "présence" de chaque partie de notre corps et de son appartenance à un tout, de manière permanente.

Il existe dans le cortex une projection de notre corps. A chaque partie du corps correspond une zone corticale précise qui est stimulée par nos sens. Prenons un exemple concert… Lorsque quelqu'un nous tapote la main, un message neurologique est envoyé à la zone "main" de notre cortex, ce qui nous permet de savoir que nous en avons une. Le fait de voir notre main joue aussi un rôle fondamental dans cette prise de conscience. Cette projection cérébrale n'est cependant pas "à l'échelle". Les parties les plus utilisées et les plus stimulées par nos sens (la main, les doigts, la bouche…) sont représentées par des zones plus importantes dans le cerveau.

Corps mutilé, cerveau perdu…

Cette mécanique bien huilée peut cependant être mise à mal par des accidents. Les cas les plus parlants sont ceux des personnes ayant eu un membre arraché ou un membre paralysé. Ces situations plongent le cerveau dans une sorte de grande confusion. "Le membre absent ou insensibilisé ne peut plus envoyer de message au cortex, qui ne peut donc plus le "ressentir". Le cerveau attend désespérément des messages qui ne viendront plus", nous explique le Dr Jean-Baptiste Thiebault, neurochirurgien à l'unité de traitement de la douleur de la fondation Rothschild. "Des patients hémiplégiques peuvent même en arriver à considérer la moitié de leur corps paralysé comme étrangère".

Par ailleurs, par un phénomène encore mal compris, la partie du corps amputée peut être sujette à des douleurs "fantômes". Comment un membre qui a disparu peut-il faire mal ? "Ces douleurs seraient dues à une hyper-attention du cerveau vis-à-vis de la douleur avant l'amputation. Certains sujets les ressentiront après avoir perdu un membre, d'autres non".

La thérapie du miroir, une réalité virtuelle

Pour soulager ces patients de douleurs contre lesquelles les antalgiques classiques ne peuvent rien, et pour les aider à mieux contrôler ce qu'ils ressentent, une figure de la neurologie américaine, le Pr. Ramachandran, s'est interrogée. Et si nous pouvions berner le cerveau, en lui "faisant croire" à la présence du membre absent ou paralysé ? Il a alors mis au point la thérapie dite du miroir dans les années 90. Le principe en est simple : puisque le membre ne peut plus envoyer de message sensitif au cortex, il s'agit d'essayer de compenser ce manquement par le message visuel.

Dans cette thérapie, le patient regarde le membre qu'il lui reste dans un miroir, en le bougeant. Cette vision envoie un message fictif au cerveau. Il croit que c'est le membre malade ou amputé qui peut fonctionner normalement de nouveau. "La thérapie du miroir est en fait une réalité virtuelle", explique le Dr Jean-Baptiste Thiebault. A noter que le mouvement est essentiel dans le processus thérapeutique : "Le message doit être clair : cette main, ce bras, ou cette jambe est à moi et je peux le ou la bouger".

Autre facteur essentiel, l'implication et la concentration du patient. "Il faut que le patient se concentre et imagine. S'il est passif, aucun résultat ne sera obtenu", précise le médecin.

Des réactions imprévisibles

Les thérapeutes se heurtent cependant à la complexité du fonctionnement du cerveau humain. Impossible en effet de prévoir les effets de la méthode. "Quand on parle du cerveau, nous ne pouvons pas conceptualiser des traitements globaux et applicables à tous. Des patients on constaté une diminution des douleurs. D'autres ont eu encore plus mal." Et elle peut même avoir des effets psychologiques très négatifs. "Certains patients peuvent ressentir des chocs terribles avec la thérapie. Si certains y adhèrent, d'autres sont très impressionnés."

Une thérapie encore peu utilisée

Alors que la thérapie du miroir a fait l'objet de publications scientifiques aux Etats-Unis dès 1992, la France met du temps à s'y mettre. "En pratique, nous avons trois guerres de retard sur les Américains", constate le Dr Thiebault. "Nous en somme encore au stade du bricolage. Nous devons progresser plus vite dans cette direction. D'autant plus que nous avons constaté que la méthode avait un intérêt dans la prise en charge de l'algodystrophie."

Dans ces pathologies qui génèrent des souffrances physiques et psychologiques, les patients sont souvent traités par des neuroleptiques, des médicaments aux effets indésirables lourds. Les thérapies cognitives pourraient donc aider au soulagement des malades. "La thérapie du miroir a tout à fait sa place à côté des traitements médicamenteux et de la prise en charge psychologique", conclue le Dr Thiebault.

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