Justice : l'expertise psychiatrique en péril

Pas du tout convaincus par les propositions du projet de loi sur l'exécution des peines voté par l'Assemblée nationale, le 17 janvier 2012, et en cours d’examen au Sénat, les psychiatres experts judiciaires dénoncent la dangereuse dégradation des conditions de leur exercice.

Géraldine Zamansky
Rédigé le
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C'est moins le diagnostic à l'origine des mesures du projet de loi qui est contesté par les psychiatres experts auprès des tribunaux, que le traitement choisi par le gouvernement.

En effet, l'étude d'impact réalisée pour orienter le législateur pointe à juste titre une "augmentation du nombre d'expertises psychiatriques sur des auteurs d'infraction pénales" évaluée à plus de 149 % entre 2002 et 2009. Une hausse d'autant plus inquiétante qu'il y a de moins en moins de spécialistes pour les réaliser : sur la même période, leur charge serait passée de 61 expertises par an à 151. Et le législateur d'en déduire plusieurs mesures en cours d'examen au Sénat, comme le recours aux internes en psychiatrie, l'amélioration de l'indemnisation pour les psychiatres non-hospitaliers ou encore le moindre recours à la double expertise médicale spécialisée, en faisant seulement appel à un psychologue pour le deuxième avis.

Des expertises réalisées... par des non experts

"Je ne suis pas certain de l’exactitude de leurs statistiques", constate d'abord le Dr Gérard Rossinelli, président de l’Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej). "Mais la situation est réellement très inquiétante. Faute d'être assez nombreux pour répondre à la multiplication des sollicitations, la majorité des expertises est désormais réalisée par des non experts !", poursuit-il, citant des exemples où le parquet a fait appel à un médecin légiste, voire à un psychologue…

Ces difficultés tiennent à l'addition de lois impliquant toutes davantage cette expertise. La loi Guigou de 1998, par exemple, l'a rendue obligatoire pour toute personne suspectée d'infraction sexuelle dès le début de la procédure. "Nous devons alors établir un pronostic sur l'individu, c'est-à-dire prédire ce qu'il est susceptible de faire, explique le Dr Rossinelli. "Il faut aussi établir sa responsabilité pénale en réalisant un diagnostic clinique… le tout sur un coin de table pendant la garde à vue !!! C’est en fait un mépris de l’expertise qui exige normalement du recul." Il lui arrive donc souvent de refuser de répondre dans l'immédiat et de demander un second temps d'évaluation. "Mais dans le contexte de pénurie actuelle, le jeune psychiatre de garde, non expert, sollicité en urgence par le procureur, n’ose pas le faire !", s'inquiète-t-il.

Idem pour les différentes lois destinées à prévenir les récidives qui exigent l'avis des psychiatres pour décider d'une libération conditionnelle ou de la mise en place d'un bracelet électronique. Ils orientent alors par exemple d'éventuelles mesures de surveillance et définissent la nécessité ou non d'une injonction de soins psychiatriques à la sortie de la prison. Autrement dit, leur place est cruciale dans la sécurisation du suivi des anciens détenus. Ce qui se traduit aujourd’hui par le blocage d'un très grand nombre de situations faute d'experts disponibles.  

A Roanne, Céline Reimeringer de l'Observatoire international des prisons (Oip) déplore ainsi des permissions de sortie suspendues des mois, alors qu'elles permettent "le maintien des liens familiaux, un rendez-vous en vue d'une formation ou d'un emploi, autant d'éléments qui participent à la réinsertion" (AFP).  Tout conduit donc à l'effet inverse du progrès recherché par la loi.

Comment débloquer la situation ?

"Certainement pas avec les mesures conçues par le gouvernement dans son projet de loi", selon le Dr Rossinelli. "Ils veulent confier l'expertise à de jeunes internes en psychiatrie, alors même qu'elle exige une certaine maturité ! Quant à essayer d'attirer davantage de confrères libéraux en faisant passer l'indemnisation de 257,25 euros à 527,25 euros, j'ai des doutes", poursuit-il. Car le rythme judiciaire est assez incompatible avec celui d'un cabinet de ville : impossible d'annuler brutalement toute une journée ou une demi-journée de rendez-vous pour aller réaliser une expertise." Il s'inquiète enfin du renoncement à l'examen par deux psychiatres différents pour les cas les plus complexes proposé par le texte actuellement examiné par le Sénat.

Pour le président de l'Anpej, mieux vaudrait essayer de freiner le découragement croissant des psychiatres publics. "Traditionnellement, nos connaissances dans le domaine des conditions d'internement nous ont conduit à réaliser les expertises. Mais comme elles deviennent de plus en plus difficiles à pratiquer et qu’en cas de récidives nous sommes les premiers bouc émissaires, plusieurs collègues se retirent désormais", regrette-t-il.

Avant de créer une nouvelle loi pour tenter de pallier les effets pervers des précédentes, un toilettage législatif serait ainsi plus efficace. Il permettrait de redéfinir le recours aux psychiatres experts pour qu’ils puissent réellement contribuer à un meilleur exercice judiciaire et ainsi, à une amélioration de la sécurité de tous.

Pour en savoir plus

Site de l'Observatoire international des prisons