"On savait que les prothèses texturées n’étaient pas évaluées"

Le Pr Maurice Mimoun, chef du service de chirurgie plastique reconstructive et réparatrice de l’hôpital Saint-Louis, a toujours refusé de poser les prothèses mammaires texturées mises en cause aujourd'hui.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Le Pr Maurice Mimoun dirige le service de chirurgie plastique reconstructive réparatrice à l’hôpital Saint-Louis de Paris
Le Pr Maurice Mimoun dirige le service de chirurgie plastique reconstructive réparatrice à l’hôpital Saint-Louis de Paris

Le Consortium international des journalistes d’investigation (CIJI) publie ce 27 novembre de nouvelles révélations sur les prothèses mammaires texturées. Ces implants à la surface granuleuse, conçus pour mieux adhérer aux tissus, sont en effet soupçonnés d’être à l’origine de formes rares de lymphomes. Quelques jours avant la parution de l’enquête, l’Agence du médicament (ANSM) a de son côté adressé un message de prudence aux chirurgiens, en leur demandant de ne plus utiliser ces implants. Mais cette timide mise en garde intervient beaucoup trop tard, puisque les premiers soupçons datent d’il y a 10 ans. Plusieurs médecins ont déjà donné l’alerte, sans jamais avoir été entendus. Parmi eux, le Pr Maurice Mimoun, qui dirige le service de chirurgie plastique reconstructive et réparatrice à l’hôpital Saint-Louis de Paris. Le 27 novembre, il est venu s’exprimer sur le plateau du Magazine de la Santé.

  • A ce jour, en France, 56 cas de lymphome anaplasiques à grandes cellules ont été recensés chez des femmes porteuses de prothèses mammaires. Est-ce que ces cancers auraient pu être évités ?

Pr Maurice Mimoun : C’est difficile de le savoir, mais on aurait pu éviter de poser des prothèses texturées. Ca fait 20 ans que je dis qu’il ne faut pas en mettre, et je suis très en colère, parce que sur 500.000 femmes en France qui ont des prothèses mammaires, 85% ont sans doute des prothèses texturées. Elles sont très angoissées !

Il y a 20 ans, on ne savait pas que cela pouvait donner des cancers anaplasiques, mais on savait que la texture n’était pas évaluée. Elle était censée entraîner moins de coques [des durcissements, ndlr]. En réalité, il n’en est rien : on a même prouvé que parfois, cette texture en entraîne davantage !

Il y a une sorte d’attrait de la nouveauté. Mais la nouvelle prothèse ou le nouveau dispositif n’est pas forcément bon. Il faut l'évaluer ! A un moment, on ne pouvait même plus rembourser les prothèses non texturées, alors qu’aucun élément ne le justifiait.

Il y a une sorte d'emballement favorisé par Internet : les patients demandent, les médecins lisent des choses, mais il n'y a pas d'évaluation.

  • Il y a une inertie des autorités sanitaires sur le sujet...

On voit si les produits sont toxiques, etc, mais on n'évalue pas l'intérêt du produit. De quel droit pouvons-nous mettre à une femme ou à un homme une prothèse ou un autre dispositif s'il n'a pas été évalué depuis plusieurs années ? De quel droit n'avertissons-nous pas la patiente ou le patient ? On ne peut pas lui dire "madame, ça date d'un an", car on ne sait pas ce qui va se passer dans 10 ans ! Pour la texture, on ne savait pas, et elle a donné quelques cancers anaplasiques.

  • On dit pourtant que les prothèses microtexturées peuvent être intéressantes.

Pr Maurice Mimoun : C'est un deuxième trompe-l'oeil. Il ne faut pas mettre de texture du tout. On va baisser la texture jusqu’à ce que les prothèses soient lisses, en fin de compte !

Des microtextures dans certaines marques qui sont des macrotextures dans d'autres, donc on n'y comprend rien ! On dit à la patiente "vous savez, avec la nouvelle texture, plus moderne,vous allez avoir moins de coques". On n'en sait rien !

  •  Vous aviez interdit la pose de prothèses texturées dans votre service, et vous aviez alerté sur le sujet.

Pr Maurice Mimoun : J'ai du pouvoir dans mon service, donc je les ai interdites. Mais après, qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Quand je les ai interdites, il n’y avait pas encore de suspicion de cancer. Je savais simplement qu’aucune évaluation n’avait été faite. Bien sûr, il faut essayer de trouver de nouvelles choses, mais attention à l'évaluation ! Quand un laboratoire vient me voir et me propose une prothèse alors qu'il y a trois ans, il m'en a déjà proposé une, je demande "mais pourquoi, l'ancienne n'était pas bien ? Qu'est-ce que je vais dire aux femmes à qui je l'ai posée ?" C'est une surenchère. Il faut se méfier de l'information médico-commerciale. C'est tout sauf de l'information médicale.

  •  Les femmes savent-elles précisément ce qu’on leur a posé comme type de prothèses ?

Pr Maurice Mimoun : A priori oui. Mais il ne faut pas les affoler. Après, tout est en évaluation, donc je ne sais pas trop quoi dire. Le nombre de cancers est très faible, et ils se traitent souvent. Mais dire aux femmes de l'enlever présente un risque. Je n'ai pas encore d'avis complètement clair sur le sujet.