Pourquoi le décret sur la pension d'invalidité pose problème

Un décret mis en application fin 2022 a plafonné le montant de la pension d'invalidité, entraînant sa diminution ou sa suppression. Avec pour conséquence, des situations dramatiques dues à une chute des revenus.

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
Rédigé le , mis à jour le
Une femme en invalidité fait ses comptes suite à la parution d'un décret qui réduit sa pension d'invalidité.
Une femme en invalidité fait ses comptes suite à la parution d'un décret qui réduit sa pension d'invalidité.  —  Shutterstock

"Ce décret a été une bombe, s'exclame Camille, médecin hospitalier et atteinte d'une pathologie neurodégénérative depuis deux ans. J'ai été obligée de réduire à 80% mon activité professionnelle et je suis en invalidité. Le 5 décembre, date habituelle du versement de ma pension d'invalidité, je n'ai rien reçu..."   

De quoi s'agit-il ? Les personnes en invalidité reçoivent une pension d'invalidité, censée couvrir une partie de la perte de revenus. Elle est calculée à partir du salaire antérieur à la maladie. Plus l'activité est réduite, plus la pension est élevée.

Le versement d'une prévoyance complète également le salaire et la pension d'invalidité, afin de maintenir le niveau de vie. Egalement calculée en fonction du salaire de référence, elle est soit payée par l'entreprise, soit souscrite de façon privée, comme pour Camille. Cette prévoyance privée a un coût, dépendant du revenu assuré.       

Un nouveau plafond qui change les règles

Le décret, voté en février 2022 et mis en place en novembre, a des objectifs louables : améliorer les revenus des personnes en invalidité et mieux rémunérer l'activité du travail. Si la pension est toujours calculée en fonction du salaire précédant la mise en invalidité, son cumul avec une activité salariée est désormais limité à un plafond annuel fixé par la sécurité sociale.   

Résultat : il diminue ou supprime la pension d'invalidité de ceux qui touchent un salaire supérieur à ce plafond, 43 992 € bruts annuels.  Soit 8 000 personnes en France.

"Concrètement, il ne faut pas gagner plus de 2 700€ net par mois, explique Amandine, qui a fondé le groupe Facebook Les oubliés de la réforme, à destination des personnes concernées par ce décret. Par exemple , si vous gagniez avant le décret 60 000 € annuels, votre cumul du salaire et de la pension invalidité ne pouvait pas dépasser 60 000€ annuels. Aujourd'hui, si la personne travaille à temps partiel et gagne 50 000€, elle n'a plus droit au complément de 10 000€ puisqu'elle est au-dessus du plafond."       

Plus de pension et plus de prévoyance

Paniquée, Camille a donc appelé début décembre sa caisse d'Assurance maladie, incapable de répondre à ses interrogations. 

 "C'est seulement au bout de plusieurs jours, que j'ai appris la mise en application de ce décret dans mon département, déplore Camille. J'avais toujours droit à la pension mais d'un montant égal à zéro, ce qui n'a aucun sens ! Par effet domino, je n'ai plus eu de prévoyance puisqu'elle dépend du montant de la pension d'invalidité."

 Ses revenus ont été brutalement amputés, cette baisse ayant des conséquences parfois dramatiques.   "J'avais enfin trouver un appartement adapté au handicap, après un an de recherches et après avoir bataillé, raconte Camille. J'avais signé le compromis de vente mais la baisse brutale de mes revenus m'a obligée à y renoncer. Cet stress majeur a aussi entraîné une aggravation de ma pathologie."    

"Certains doivent renoncer à des soins"

En plus des difficultés liées au crédit, il peut y avoir un impact sur le niveau de vie.   

"Toutes les dépenses du quotidien doivent être très rapidement revues à la baisse, explique Amandine. Des personnes se forcent à reprendre le travail pour régler les factures, avec un gros impact sur leur santé. Certains doivent déménager ou renoncer à des soins non conventionnés. Toute l'organisation familiale peut être déstabilisée, avec des étudiants devant interrompre leurs études. Les situations sont parfois dramatiques..."   

Autre effet collatéral : le calcul des retraites complémentaires, conditionnées au versement de la pension d'invalidité.    

Bientôt une modification du décret ?

"Dès décembre, le collectif Les oubliés de la réforme a lancé des requêtes auprès des députés et sénateurs dans tous les départements où nous avions des membres, détaille Amandine. Nous avons reçu le soutien de nombreux journalistes. La FNATH, association des accidentés de la vie, a été sollicitée par un des membres pour alerter sur la situation. Elle a écrit, sans succès, au Ministre de la santé et à la secrétaire d'Etat et a même saisi le Conseil d'Etat."   

Les efforts finissent par payer : désormais conscient des problèmes engendrés, le ministère travaille à des modifications du décret. Une réunion aura également lieu entre la FNATH, la DSS et le cabinet ministériel le 1er mars. Un rendez-vous source d'espoir pour Amandine : "Grâce à la mobilisation des médias, des politiques, du collectif, de la FNATH, nous sommes confiants quant à l'issue rapide et positive de la situation" conclut-elle.