Les malades de Parkinson ont-ils une odeur caractéristique ? L'hypothèse reste à vérifier

Une équipe de chercheurs écossais débute une étude sur les facultés alléguées d'une sexagénaire écossaise à identifier une odeur spécifique dans la sueur des patients atteints de la maladie de Parkinson. Le taux du succès obtenu par cette femme lors d'un premier (petit) test a incité les chercheurs à conduire ces travaux plus sérieux. Mais la route est encore longue avant que l'on puisse conclure à la réalité de cet étrange "talent". Explications.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Les malades de Parkinson ont-ils une odeur caractéristique ? L'hypothèse reste à vérifier

Épouse d'un homme diagnostiqué comme atteint de la maladie de Parkinson en 1995, l'Ecossaise Joy Milne a évoqué au cours d'une conférence "le subtil changement de l'odeur corporelle" de son conjoint dès 1989… Elle l'affirmait : elle était capable de reconnaître les parkinsoniens à leur odeur.

La subjectivité de la perception, et l'influence de la connaissance du statut du malade, pouvait a priori expliquer cette conviction… Par acquit de conscience scientifique, un chercheur présent lors de l'événement, a soumis Joy Milne à un (petit) test en aveugle. Il s'agissait, pour l'Ecossaise, d'identifier parmi douze t-shirts non lavés (portés durant une journée) lesquels appartenaient à des malades (six t-shirts) et à des sujets sains (six t-shirts).

Selon les informations recueillies par la BBC auprès du docteur Tilo Kunath (Université d'Edimbourg), l'Ecossaise aurait distingué sans erreur l'état de santé des douze propriétaires. Six et six ? Pas tout à fait : Joy Milne aurait formellement désigné six t-shirts comme appartenant à des patients parkinsoniens, avant d'en désigner un septième. Les six premiers t-shirts appartenaient effectivement aux membres du groupe de malades. Quid du septième vêtement ? Selon Tilo Kunath, huit mois plus tard, "l'erreur" de l'Ecossaise se serait révélée être une "prédiction juste", puisque le membre du groupe de contrôle a finalement été diagnostiqué pour cette maladie.

S'agit-il là de la preuve de l'existence d'une "odeur de Parkinson" ? Cette toute petite expérience ne permet pas de l'affirmer, d'autant plus que certaines précautions méthodologiques élémentaires pourraient avoir été omises par les expérimentateurs. Nous avons contacté le Dr Kunath pour avoir des précisions sur le protocole expérimental employé ; pour l'heure, les doutes que nous formulons ici n'ont pas été levés.

Toutes les précautions ont-elles été prises ?

Le fait que l'expérience préliminaire n'ait été menée que sur douze t-shirts n’est pas particulièrement critiquable (voir encadré). En revanche, Tilo Kunath ne précise pas si ce test a bien été mené en "double aveugle" (si tel est le cas, les personnes avec qui Joy Milne a été en interaction avant et pendant l'expérience n'ont pas été informés de l'état de santé des propriétaires des vêtements). Si tel n'est pas le cas, les résultats auraient pu être influencés par le comportement des expérimentateurs.

Par ailleurs, Tilo Kunath ne précise pas auprès de qui les différents t-shirts ont été collectés. Si les donateurs sont des membres du groupe d'entraide dans lequel Joy Milne est investie, elle aurait pu reconnaître les t-shirts… et donc identifier leur propriétaire, "malade" ou "parent de malade". Même avec des t-shirts en apparence identique, des indices comme la taille, ou même des odeurs familières de sueur ou de parfum, auraient totalement biaisé le résultat du test.

Dans le même ordre d'idée, le Dr Kunath ne nous confirme pas que le groupe "témoin" était composé de personnes d'âge ou de sexe similaire à ceux du groupe "patients parkinsoniens". Des différences d'odeurs corporelles entre de jeunes hommes et des individus plus âgés - statistiquement plus à risque d'être atteints de Parkinson - auraient pu influencer l'interprétation de Joy Milne.

Nous ignorons également tout de l'état d'avancement de la maladie chez les patients parkinsoniens impliqués dans l'étude... et si certains suivaient un traitement susceptible de modifier leur odeur.

Sans plus d'information sur le protocole, il faut rester prudent

Le score obtenu par Joy Milne suggère que le "hasard seul" n'était vraisemblablement pas à l'œuvre… mais si les chercheurs ont omis de prendre en compte l'un de ces paramètres, l'hypothèse d'une odeur propre au malade parkinsonien pourrait être superflue. A noter, en revanche, que la prédiction du diagnostic du septième patient, évoqué plus haut, semble difficilement explicable (à moins, bien sûr, que les témoins n'aient été recrutés dans un groupe "à risque").

L'existence d'un mécanisme liant le développement d'une maladie neuro-dégénérative à l'odeur corporelle serait une merveilleuse découverte, qui révolutionnerait les protocoles diagnostiques… et notre connaissance des interactions chimiques entre le cerveau et le reste de notre organisme. Mais avant d'extrapoler sur l'origine et la nature[1] des composés odorants typiques de la maladie de Parkinson… il convient de valider correctement les performances de Joy Milne.

Il est à espérer que l'expérience de plus grande envergure que l'équipe du Dr Kunath compte désormais mettre en place (et qui impliquera 200 participants) n'omettra aucune des précautions ici évoquées - sinon quoi tous ces grands espoirs pourraient vite être déçus.

A noter enfin qu'une réussite de ce grand test ne sera qu'une étape dans la validation de l'hypothèse de "l'odeur de Parkinson", une réplication de ces travaux par une équipe indépendante marquant le seul moment où les médias pourront légitimement se réjouir !


[1] Le Dr Kunath hasarde l'hypothèse d'une modification dans la composition du sébum, mais d’autres pistes sont bien sûr envisageables (par exemple, l’existence d’une présence bactérienne spécifique).

[2] A noter que la connaissance (ou non) du nombre de t-shirts appartenant à des parkinsoniens module fortement ce que l’on peut attendre d’un tel test. En étant informé à l'avance que seuls six t-shirts étaient ceux de malades, le score de 6/6 n'avait certes que 0,1% de chance d'être obtenu "par hasard". Mais un score de 5/6 aurait été très difficile à interpréter. En revanche, si l'expérience avait eu pour objet de découvrir si des t-shirts appartenaient à des parkinsoniens, annoncer (correctement) qu'il n'y en avait que six et parvenir à les identifier aurait été encore plus époustouflant - le phénomène n'ayant que 0,02% de chance de se produire par hasard. Il aurait d’ailleurs suffi que Joy Milne ne désigne correctement que 10 ou 11 vêtements, pour laisser entendre les chercheurs que "le hasard seul" n'était vraisemblablement pas à l'œuvre.

A noter qu'un score de 0, 1 ou 2 t-shirt aurait été tout aussi surprenant pour les chercheurs. Joy Milne se serait en effet révélée anormalement mauvaise, puisqu'une telle sous-performance n’a que 2% de chance de se produire ! Et si cette contre-performance était routinière, les médecins pourraient d’ailleurs en tirer profit : il suffirait de tester pour Parkinson toutes les personnes désignées comme saines par Joy Milne, pour avoir une probabilité "supérieure à celle attendue par le hasard" d’identifier un malade !

Une expérience de discrimination de douze t-shirts peut être riche d'enseignements, si elle est bien conçue, et bien menée.

Si le nombre d'identifications correctes est trop faible - plus précisément, que le score obtenu n'est pas différent de ce que l'on constaterait si la personne testée donnait son pronostic au hasard - les chercheurs auront tendance à passer à autre chose.

Si, à l’inverse, le score est anormalement élevé[2], la probabilité est faible que "le hasard" soit seul responsable de la performance. Tel est le cas ici, et les chercheurs vont essayer de reproduire ces premières observations à plus grande échelle, pour estimer plus précisément l'efficacité du "nez" de Joy Milne.