Overdoses aux opiacés : 90 médecins tirent la sonnette d'alarme

Les overdoses aux opiacés touchent principalement les personnes qui suivent un traitement contre la douleur. Des médecins signent une tribune pour demander une meilleure information sur l’accessibilité et l’utilisation d'un traitement antidote qui peut sauver des vies.

Héloïse Rambert
Rédigé le , mis à jour le
Aux Etats-Unis, les analgésiques opioïdes et l'héroïne ont contribué à environ 60.000 décès par overdose en 2016.
Aux Etats-Unis, les analgésiques opioïdes et l'héroïne ont contribué à environ 60.000 décès par overdose en 2016.

Efficaces mais potentiellement dangereux, voire mortels. Les antalgiques opiacés soulagent la douleur grâce à leur action sur le système nerveux central. Mais le revers de la médaille est lourd : ces produits ont un très fort potentiel addictif et leur consommation excessive expose à un risque d’overdose. Les opiacés comprennent les médicaments à base de morphine et de ses dérivés (hydrocodone, oxycodone, fentanyl), ainsi que les médicamnts dits opiacés faibles comme le tramadol, les extraits d'opium, la codéine.

"Urgent d’agir"

Aux Etats-Unis, les médicaments opiacés, prescrits massivement, ont déclenché une véritable hécatombe : avec 72.000 morts en 2017, les overdoses aux antidouleurs dérivés de l'opium tuent plus que les accidents de la route et les armes à feu réunis. Une situation qui est, heureusement, incomparable avec la nôtre. Mais "douze millions de Français utilisent des médicaments opiacés, sans être alertés sur leur potentiel addictif et sur les risques d'overdose.

Les hospitalisations pour ce motif ont doublé, les décès triplé", s’alarment 90 médecins dans une tribune publiée dans le JDD (article payant). Les signataires s’inquiètent que la France puisse "à son tour encourir le risque d'une crise sanitaire" et estiment qu’il "est urgent d'agir", alors que "la prise de conscience du corps médical comme des politiques a été tardive, laissant la situation dégénérer en crise majeure de santé publique."

"Monsieur et Madame Tout-le-Monde" touchés par des overdoses

Le Dr Guy Sebbah, médecin généraliste et urgentiste, directeur général Groupe SOS Solidarités Paris - qui gère une cinquantaine d’établissements pour les usagers de drogues- et premier signataire de la tribune, l’affirme : les overdoses aux opiacés dans notre pays ne frappent plus les mêmes personnes qu’auparavant. Elles se sont déplacées du champ de l’addictologie vers la population générale et concernent toutes les classes sociales. "Il y a plusieurs centaines d’overdoses par an en France. La majorité d’entre elles, jusqu’à il y a deux ou trois ans, concernait les usagers d’héroïne. Désormais, elles touchent en plus grand nombre les patients qui utilisent des antalgiques opiacés."

Un manque d’accès "délirant" à l’antidote

Des décès d'autant plus révoltants que pour sauver le vie des personnes qui font des overdoses il existe un antidote efficace, peu cher et sans effets secondaires : la naloxone. Le Dr Guy Sebbah, qui a connu l’ "avant" et "après" arrivée du médicament, il y a plusieurs dizaines d’années, n’hésite pas à qualifier ses effets de "miraculeux". Pourtant le produit est peu diffusé, que ce soit dans les centres d’addictologie ou dans la population générale. "Cela fait plusieurs années que l'on essaie d’avoir la naloxone facilement dans nos établissements spécialisés. On y a accès, mais il faut les payer en plus de nos budgets et elle reste mal distribuée. Notre souhait est de la diffuser largement auprès de nos usagers qui ont un risque d’overdose", explique le médecin.

Mais avec l’évolution du risque, c’est aussi pour une toute une autre population que la naloxone doit être accessible. "Il est totalement délirant que ce produit, qui est connu, ne soit pas distribué plus largement, évidemment dans nos centres, mais aussi vers la population générale à risque qui prend des médicaments opioïdes de manière chronique, s’insurge le médecin. Si toutes les personnes utilisatrices de traitements opioïdes peuvent développer des addictions, certaines personnes plus fragiles, âgées ou, par exemple, en soins palliatifs, sont plus à risques de faire des overdoses."

Une forme intramusculaire disponible sans restriction dans les pharmacies

Paradoxalement, la naloxone n'a jamais été aussi accessible : depuis quelques semaines la molécule peut désormais être prescrite par tous les praticiens et est même achetée sans ordonnance. Mais sous une forme d’administration que les spécialistes ne considèrent pas comme optimale. L’antidote est à prendre par voie intramusculaire, après reconstitution du produit à injecter. Une forme beaucoup moins simple et rapide à utiliser que celle à prendre par voie nasale, qui a pourtant été développée. "Un spray nasal de naloxone existe depuis quelques années, rappelle le Dr Sebbah. Mais le laboratoire n’a pas réussi à faire aboutir les négociations avec l’Etat : à la fin de l’année, il n’y aura plus de contrat d’autorisation de mise sur le marché. »

Une information qui ne passe pas

Mais, quelque soit la forme disponible, un problème de taille subsiste : l'absence d'information. "Personne ne sait que la naloxone peut être prescrite par tous les médecins et qu’elle est en accès libre dans les pharmacies", déplore le Dr Sebbah. Et les médecins, hormis les rares qui s’intéressent spécifiquement à l’addictologie, maîtrisent mal ce traitement d’urgence. "Aujourd’hui, si vous interrogez les médecins généralistes, 60% d’entre eux environ disent connaître à peu près la naloxone, mais ne pas savoir s’en servir, rapporte l’urgentiste. "Il n’est pas normal qu’alors que les overdoses les plus fréquentes deviennent les overdoses aux médicaments, qu'il n’y ait pas de diffusion de l’information à l’ensemble des personnes qui utilisent ces médicaments, médecins comme patients." Trois mesures urgentes, pour les signataires de la tribune :  étendre l'accès de la naloxone aux médecins généralistes, les sensibiliser et les former à son usage.

Le signataire de la tribune "militent" même pour que les médecins prescrivant des antalgiques opioïdes ajoutent de la naloxone à l’ordonnance. "Dès le début du traitement ou pas, à tel ou tel type de patients...c’est à réfléchir", ajoute le Dr Sebbah.

Des traitements dangereux encore mal maîtrisés

Si le traitement d’urgence des overdoses est mal connu, les médicaments opiacés eux-mêmes sont encore maniés avec difficulté par les médecins. "Il y a toujours une méconnaissance de l’utilisation de ces molécules, de leur dosage, de leurs effets secondaires et de leur potentiel addictif." Les opiacés restent un vrai sujet de santé publique.