La musique adoucit l'Alzheimer

L'audition et l'apprentissage musical sollicitent simultanément de multiples zones de notre cerveau. En dépit de l'apparition des lésions caractéristiques de la maladie d'Alzheimer, les patients parviennent ainsi à garder trace de mélodies anciennes... et nouvelles, comme l'a constaté le professeur Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l'Université de Caen.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
La musique adoucit l'Alzheimer

Dans son laboratoire de l'Inserm, Hervé Platel explore la mémoire humaine à l'aide de l'imagerie cérébrale. Plus précisément, son équipe observe le cerveau de personnes exposées ou ayant été exposées à du matériel artistique, plastique ou musical.

"Alors que la mémoire verbale sollicite un réseau très spécifique de neurones, essentiellement localisé dans l'hémisphère gauche du cerveau, la mémoire musicale met en jeu une région du cerveau plus étendue, et active les deux hémisphères", nous explique le professeur Platel.

Il n'existe donc pas de zone unique dévolue à la mémoire musicale. "D'un point de vue clinique, ce résultat offre un très grand avantage", poursuit le chercheur. "En effet, si un malade présente une lésion dans l'hémisphère gauche, il peut souffrir de troubles du langage importants, qu'aucun réseau de neurones ne pourra compenser, car la compétence du langage est trop associée à la région lésée. Mais la musique a des voies d’entrées multiples dans le cerveau : la perception, les émotions, la motricité (la musique nous fait battre la mesure avec le pied, nous donne envie de danser) ou la mémorisation. Par ailleurs, l’écoute active les circuits de la récompense (production de dopamine)…"

Avec tant de fonctions cérébrales sollicitées, la musique ne s'efface pas facilement de l'esprit des malades...

"Les différents intervenants, dans les maisons de retraites, ont remarqué depuis longtemps que les malades d'Alzheimer se souviennent de vieilles chansons. Il est vrai que, musique ou pas, les souvenirs anciens résistent mieux que les autres... Mais à Caen, au cours d'ateliers d'apprentissage, nous avons pu constater que ces malades parvenaient aussi à apprendre des chansons nouvelles", s'enthousiasme Hervé Platel.

"S'ils mémorisent très bien la mélodie, ils ont toutefois des difficultés à se souvenir du texte", détaille le scientifique. "Le plus surprenant, c'est que quatre mois après ces séances, lorsqu'on leur présente les paroles, et qu'on leur demande si elles leur évoquent quelque chose, les malades répondent très positivement. Ils sont incapables de savoir dans quel contexte ils ont été en contact avec la chanson, mais si on leur demande s'ils sont capables de la chanter, certains patients, à des stades très avancés de la maladie - c'est-à-dire très amnésiques, qui ignorent même leur âge - sont capables de chanter spontanément la mélodie."

Les chercheurs caennais ont essayé de reproduire cet effet en exposant les malades de façon répétée à différentes stimulations d'ordre artistique. "A force de répétition, d'imprégnation perceptive, émerge un sentiment de familiarité avec les œuvres", détaille le neuropsychologue.

L'écoute musicale, malheureusement, ne guérit pas. "L'imprégnation perspective ne « recâble » pas suffisamment fort, ne stimule pas suffisamment la plasticité cérébrale, pour doper les autres aspects de la mémoire qui sont en train de s'effondrer, et notamment le langage", insiste Hervé Platel.

"En revanche, ces recherches démontrent que la musique apporte un bien-être, et que les patients peuvent garder trace d'un moment de plaisir. Une trace fragile, impossible à récupérer volontairement par le patient ; mais ce qui est vécu laisse une trace. Cela permet de changer le regard de chacun sur les malades, sur cette maladie, et sur la façon dont ils la vivent."

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