Les animaux de laboratoire, précieux cobayes de la recherche biomédicale

Difficile de dire où en seraient la médecine et la pharmacie sans l'expérimentation animale. Force est de parier qu'elle en serait à l'âge de pierre. Si les méthodes dites "alternatives" sont de plus en plus sophistiquées, l'animal reste indispensable à une recherche de qualité. Et l'objet de toutes les revendications.

Héloïse Rambert
Rédigé le
Les animaux de laboratoire, précieux cobayes de la recherche biomédicale
La souris, super star du labo
La souris, super star du labo

Ils ne sont pas tranquilles, les chercheurs anglais. La raison de leur inquiétude ? Des activistes défenseurs de la cause animale leur mettent des "bâtons dans les roues". Selon The Times, les compagnies aériennes, de ferries, et l'opérateur du tunnel sous la manche refusent d'importer des animaux destinés à la recherche, sous la pression de groupes anti-vivisection. Même si seulement une petite partie des animaux de laboratoire utilisés au Royaume-Uni provient de l’étranger, ceux-ci "contribuent de manière significative au développement de nouveaux médicaments pour combattre les maladies", comme l'a indiqué l'ancien ministre des Sciences, Paul Drayson.

Irremplaçable animal

Qu'est-ce qui fait trembler le monde de la recherche anglaise, "privée" de ses animaux de laboratoire ? Pour François Lachapelle, directeur de recherche, chef du bureau de l'expérimentation animale à l'Inserm et président du GIRCOR (Groupe Interprofessionnel de Réflexion et de Communication sur la Recherche), la réponse est simple : "le modèle animal est indispensable à la recherche, pour travailler à une meilleure connaissance des système biologiques. Mais son importance est aussi cruciale, pour les industriels qui développent des médicaments et les testent sur les animaux pour des raisons sécuritaires".

L'animal possède en effet les mêmes grands systèmes physiologiques que l'homme (digestif, respiratoire, reproducteur, nerveux et immunitaire) et reste le modèle d’étude le plus adapté de la complexité de la physiologie humaine. Il permet à la recherche de déchiffrer les mécanismes du vivant.

Les chercheurs et les industriels ne peuvent-ils donc pas utiliser d'autres moyens que l'expérimentation animale, pour mener leurs travaux ? "Il existe bien sûr des méthodes alternatives qui vont permettre de remplacer l'animal par une autre modèle, ou de réduire le nombre d'animaux utilisés", admet François Lachapelle.  Ce sont, par exemple, les techniques d'imagerie, la modélisation mathématique, ou la culture de cellules." Ces modèles de substitution sont d'ailleurs très employés : l'utilisation des animaux est minoritaire dans l'ensemble de la recherche en biologie. "A l'Inserm, par exemple, 30 % des recherches sont faites sur l'animal, alors que 70 % utilisent des méthodes alternatives", précise-t-il.

Mais ces modèles simplifiés ne permettent que l'étude de phénomènes… simples. Aucun système informatique, aucune éprouvette ne peut reproduire la complexité d'un organisme complet, l'interaction des différents systèmes physiologiques. "Les animaux permettent une richesse de réponse impossible à atteindre par d'autres moyens. Il est possible par exemple, de faire des découvertes fortuites grâce aux animaux, car les expériences avec eux donnent souvent des résultats complètement inattendus". Les méthodes alternatives peuvent être très utiles dans les premiers stades de la recherche, mais sont complémentaires de l'étude sur l'animal et ne peuvent s'y substituer.

L'animal et l'homme, si proches et si lointains

L'étude de l'animal reste donc encore le moyen le plus performant pour savoir ce qui se passe chez l'homme. Pourtant, la ressemblance entre une souris et un homme n'est pas, à première vue, frappante… "Il existe de nombreuses différences entre un être humain et un animal, mais aussi beaucoup de similitudes, dont certaine peuvent être exploitées pour faire avancer la recherche", souligne le directeur de recherche à l'Inserm.

L'animal le plus adéquat est choisi pour chaque type d'expérience, en fonction des spécificités de son espèce et de son intérêt dans le domaine considéré. Rien de mieux par exemple, pour étudier l'impact des médicaments, que des fœtus de lapin, qui sont très souvent prédictifs de ce qui pourrait être observé chez le fœtus humain. Quant au porc, il rend de grands services dans la recherche sur la peau ou le système digestif, qui sont très proches des nôtres. Et ce jeu des ressemblances réserve des surprises : "la lamproie (un poisson primitif, ndlr) est par exemple un très bon modèle pour tout ce qui a trait à l'étude de la bipédie", indique le chercheur.

Contrairement à ce que l'on serait tenté de croire, le singe n'est pas l'animal parfait pour les scientifiques. Mais il est le meilleur pour l'étude des systèmes immunitaire et nerveux, et les primates sont utilisés dans les travaux sur le virus du sida. Il ont d'ailleurs permis la validation des actuelles trithérapies contre la maladie.

La souris, super star du labo

L'animal le plus utilisé par les chercheurs reste le rongeur : il représente 87 % des modèles étudiés. Avec leur petite taille, leur grande capacité de reproduction, et leur prix plutôt modéré, les souris et les rats ne manquent pas de qualités. De par leur courte durée de vie, ils constituent un excellent modèle pour l’étude des pathologies liées au vieillissement. Et leur génome est très bien connu, ce qui permet de les "modifier génétiquement" si besoin, d'où leur rôle central dans l'étude des cancers. Autre outil majeur qu'ils procurent : la possibilité de travailler sur des lignées consanguines, qui constituent un très bon modèle d'étude animal, car un peu simplifié "Les souris issues de la même lignée ont des caractéristiques communes, ce qui facilite les recherches. Par exemple, certaines vont être résistantes à un germe pathogène, d'autres vont y être résistantes", explique François Lachapelle.

L'animal, un produit de l'espace Schengen comme un autre ?

Si les grands instituts ou les laboratoires privés disposent de leurs propres animaux, il peuvent être amenés à "passer commande" à des animaleries d'élevage spécialisées ou d'effectuer des échanges d'animaux entre eux. "Il y a beaucoup de transit d'animaux à l'international, entre les organismes privés et publiques", confirme le président du GIRCOR. Lorsque le transport se fait en France, ou si le trajet est relativement court en Europe, les animaux transitent par voie terrestre. Mais généralement, le transport aérien est privilégié, le but étant que le voyage soit le plus court et le moins stressant possible pour les bêtes.

L'"import/export" d'animaux de laboratoire fait bien sûr l'objet de réglementations extrêmement rigoureuses. Les modalités administratives de transfert sont dictées par une législation nationale, européenne, internationale qui prend en compte les espèces animales domestiques ou sauvages impliquées, les finalités recherchées, la provenance ou la destination finale. Une bureaucratie écrasante pour les scientifiques ? "Pas du tout" corrige le directeur de recherche. "Ces mesures répondent à une nécessité sanitaire évidente. Et, contrairement aux autres importateurs, nous dialoguons "à compétence égale" avec les autorités sanitaires."

Dans notre pays, la recherche risque-t-elle, comme c'est le cas en ce moment au Royaume-Uni, d'être fragilisée par les groupes anti-vivisection ? "Jusque-là, cela ne s'est jamais produit", dit François Lachapelle. Mais leurs tentatives de pression sont réelles. "En nombre, ils sont peu. Nous savons que 75 à 85 % de la population générale trouve qu'il est normal d'utiliser les animaux dans la recherche. Mais les "défenseurs des animaux" tentent de peser dans la balance en faisant du chantage auprès des compagnies aériennes."

Selon lui, les Anglais ont en plus un autre problème : ils n'ont pas officiellement sur leur territoire de point d'importation pour leurs animaux. Leurs souris et autres macaques sont donc contraints de faire escale par le continent européen. "Ils sont sujets à une sorte d'"inquiétude insulaire" que nous ne connaissons pas."

Espérons donc que le France ne vienne pas à manquer de cobayes. "Notre seule préoccupation est de pouvoir continuer à importer des animaux. Pour cela, il ne faut pas être "lâché" par un de nos partenaires, comme par exemple un aéroport. Mais a priori, il n'y a pas de raison que cela arrive". Espérons aussi que la situation revienne à la normale rapidement au Royaume-Uni car la santé de tous en dépend.

En savoir plus

 

Quelques prix Nobel de médecine et de physiologie obtenus depuis 1901 pour des découvertes s'appuyant sur des modèles animaux :

1901 : développement d'un sérum anti-diphtérique, E.A.von Behring (cobayes)

1923 : découverte de l'insuline et du mécanisme du diabète, F.G.Banting, J.J.R.Macleod (chiens, lapins, poissons)

1933 : découverte du rôle des chromosomes dans l'hérédité, T.H Moragn (drosophiles)

1945 : découverte de la pénicilline, A. Fleming, E.B.Chain, H.Florey (souris)

1952 : découverte de la streptomycine, premier antibiotique efficace contre la tuberculose, S.A.Waksman (cobayes)

1964 : découverte de la régulation du métabolisme du cholestérol et des acides gras, K.E.Bloch, F.Lynen (rats)

1971 : découverte du mécanisme d’action des hormones, E.Sutherland (foie de mammifère)

1987 : découverte des principes génétiques gouvernant la diversité des anticorps, Tonegawa Susumu (embryons de souris)

1990: mise au point des techniques de transplantation d'organes, J.E.Murray, E.D.Thomas (chiens)

2003 : découverte concernant l'IRM, Paul C.Lauterbur, Peter Mansfield (grenouilles)