"Mon patient est décédé le lendemain matin, seul"

Les mesures de confinement prises par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie de coronavirus ne permettent plus aux Français de rendre visite à leurs proches en Ehpad ou hospitalisés.

Lucile Boutillier
Rédigé le , mis à jour le
"Mon patient est décédé le lendemain matin, seul"

« Cette histoire date d’il y a une bonne dizaine de jours, j’ai beaucoup culpabilisé : j’ai refusé des visites à un patient et il est décédé en fin de matinée le lendemain », raconte Anne* ce 17 mars. Il y a peu, cette infirmière d'un hôpital français a dû interdire à la famille d’un patient de 85 ans de lui rendre visite. Il était soupçonné de Covid-19.

« J’ai refusé cette visite par manque de matériel, et aussi parce qu'il fallait expliquer l’habillement et l’isolement. C'était la nuit, j’étais seule avec une aide-soignante pour gérer 23 autres malades », regrette-t-elle. Son patient diabétique est décédé le lendemain, d’une pneumopathie. Les résultats du test pratiqué la veille tombent peu après : il était négatif au Covid-19.

« La réalité du terrain, ça a été de refuser des visites par manque de moyens »

Pendant la soirée, les médecins du patient d'Anne* avaient prévenu la famille que son pronostic vital était engagé, mais qu’il n’était pas permis de lui rendre visite. « Quinze personnes sont quand même venues pour le voir », raconte l'infirmière. « Sauf que je n’avais des masques que pour moi, il n’y en avait pas assez. Je n’ai pu laisser entrer que son épouse et son fils. »

L’octogénaire avait été placé en isolement, dans une chambre spéciale de l’hôpital. Pour entrer dans ces chambres, il faut enfiler une tenue protectrice afin d’éviter la contamination. « Quand sa femme a vu cet attirail, elle n’a plus voulu entrer. Elle l’a quand même fait, mais ils sont partis ensuite alors qu’on pensait qu’ils resteraient toute la nuit », se souvient-elle.

« Je l'ai eu sur la conscience pendant quelques jours »

L’infirmière de 38 ans réfléchit quelques secondes, puis s’exclame : « Ça a été la seule fois. Dans toute ma carrière, ça ne m’était jamais arrivé de refuser des visites à un patient en fin de vie. Pourtant j’ai travaillé longtemps en gériatrie. Parfois on limite les visites, les visiteurs n’entrent que deux par deux, mais on les laisse entrer. » 

Selon elle, c’est le manque de moyens et une mauvaise logistique qui est responsable de cette situation. « Si on avait été une personne de plus ce soir-là, si on avait eu plus de matériel, on aurait sans doute pu autoriser plus de visites », regrette-t-elle.

Une situation qui pourrait se répéter

L’histoire que raconte Anne* est de celles qui inquiètent Stéphanie. Cette auxiliaire de vie de 35 ans a failli perdre sa grand-mère Annick le mois dernier : « J’ai peur qu’elle parte sans la revoir, j’y pense … » Elle s'en étonne encore : « C’était un miracle qu’elle en réchappe. » La nonagénaire avait passé deux semaines à l’hôpital pour une septicémie.

En Ehpad depuis quatre mois, Annick est désormais dans une situation de dépendance importante. « Avant elle marchait avec un déambulateur mais maintenant elle est en fauteuil roulant », explique la trentenaire. Les nouvelles mesures déployées par le gouvernement contre la propagation du coronavirus lui interdisent les visites à sa grand-mère.

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« Ce que je vais dire est terrible »

« Je venais la voir à peu près tous les trois jours », s'émeut Stéphanie. « Elle est coupée du monde parce qu’elle ne peut plus sortir, on ne peut plus communiquer avec elle. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! »

De nombreuses personnes s'inquiétent pour leurs proches très âgés et malades. « Ma grand-mère est en Ehpad depuis plus de cinq ans, c'est sans doute la dernière fois que je la vois vivante », renchérit Audrey, 36 ans. Cette assistante maternelle de Toulouse a pu lui rendre visite une dernière fois dans son Ehpad, en y entrant une par une avec sa mère.

Le déroulement des funérailles perturbé

«L'infirmière nous a appelées en disant qu'elle vivait ses derniers jours », raconte la jeune femme. Elle se pose maintenant la question de « l'après » : peut-on organiser des funérailles en plein confinement ? Le Premier ministre a répondu à cette question le 17 mars soir sur France 2 : « Ce que je vais dire est terrible, mais non », a-t-il déclaré. « Nous devons limiter au maximum nos déplacements, même dans ces circonstances. »

Face à cette interdiction, Audrey soupire : « Je ne minimise pas ce qui se passe, mais ça reste compliqué. Dans ces moments-là, on a envie d'être ensemble, mais pour préserver la santé de tout le monde on ne le fera pas », se résigne-t-elle.

*Le prénom a été modifié