Rougeole : faut-il craindre une épidémie mondiale ?
L'Unicef et l'OMS se sont récemment inquiétées d'une recrudescence de la rougeole dans le monde malgré l'existence d'un vaccin sûr, efficace et peu coûteux. Si la France n'est pas épargnée, l'augmentation des cas de rougeole provoque des "chasses à l'homme" aux Etats-Unis, en Australie ou au Costa Rica.
L'inquiétude de l'Unicef est à la mesure du caractère extrêmement contagieux et potentiellement grave de cette maladie contre laquelle il n'existe pas de traitement curatif mais un vaccin mis au point dans les années 60. C'est d'ailleurs grâce à lui que la rougeole avait disparu dans une grande partie du globe. Mais ces derniers mois, elle regagne du terrain partout dans le monde.
©Measles and Rubella Initiative
Il existe des alertes dans des pays où elle profite de très longs conflits comme au Yemen, ou d'une grande pauvreté comme à Madagascar mais il y en a aussi sur le continent européen. En tête des pays touchés par cette recrudescence signalée par l'Unicef, l'Ukraine où plus de 24.000 personnes ont été infectées en janvier et février. Soit les deux tiers de l'ensemble des cas recensés l'année dernière. Les autorités sanitaires déplorent surtout sept décès en quatre semaines, soit près de la moitié du terrible bilan de 2018.
Il s'agit surtout d'enfants, plus fragiles face à cette maladie dont les formes graves peuvent entraîner des pneumonies ou des encéphalites, c'est-à-dire des inflammations du cerveau potentiellement mortelles.
Une situation qui s'est aggravée en Ukraine
Une vaste campagne de vaccination, soutenue par l'OMS et l'Unicef, a commencé au printemps 2018 mais les Ukrainiens vivent aujourd'hui les conséquences de plusieurs décennies de dysfonctionnements, sans oublier les dernières années de conflit à l'est.
Avec des vaccins de mauvaises qualités utilisés pendant l'ère soviétique, puis des pénuries de vaccins et des infrastructures sanitaires "en ruines" qui mettent parfois en péril la chaîne du froid, du personnel très mal payé qui exige une rémunération directe... La confiance de la population dans la vaccination a été massivement érodée. En 2016, seul un enfant sur deux était correctement protégé. L'Unicef continue donc d'apporter son aide dans des centres de santé.
Ce qui compte le plus pour les familles, c'est de savoir que le vaccin utilisé est disponible, "haut de gamme" et gratuit. La peur provoquée par les décès commence à faire son effet mais pas dans tous les milieux. L'Unicef se rend donc également dans les écoles et accompagne ces actions de vidéos d'informations.
Clips Unicef pour encourager la vaccination
Certaines de ces vidéos symbolisent la protection du vaccin. Des reportages ont aussi été réalisé dans des programmes télévisés populaires. Comme celui avec une chanteuse très célèbre là-bas, Iryna Fedyshyna. Elle raconte comment après avoir été réticente, elle a décidé de les faire protéger contre la rougeole, face à la gravité de l’épidémie.
En parallèle, l'Unicef fait appel aux autorités religieuses.
Le Dr Kateryna Bulavinova, pédiatre demande ainsi au clergé ukrainien de montrer l'exemple avec leurs propres enfants et d'encourager leurs paroissiens !
Une défiance qui touche également les Philippines
L'épidémie de rougeole s'accélère aussi terriblement aux Philippines selon l'Unicef, qui place ce pays en seconde place de son triste podium avec déjà près de 14.000 cas depuis le début de l'année 2019 alors que 15.600 cas avaient été recensés en 2018. Cette épidémie a surtout déjà provoqué 215 morts car l'état de santé des enfants est souvent plus fragile dans ce pays.
Des drames liés à une histoire très spécifique aux Philippines autour d'un vaccin récent contre la dengue, le Dengvaxia. C'est d'ailleurs le constat du ministère de la Santé lui-même qui relie l'épidémie,"(...) à la perte de confiance dans les vaccins créée par la controverse du Dengvaxia (...) C'est-à-dire que des mères sont devenues réticentes à faire vacciner leurs enfants par des vaccins qui ont fait la preuve de leur efficacité depuis longtemps".
Controverse du Dengvaxia
Cette "controverse" vient de devenir une procédure judiciaire : le gouvernement philippin annonce l'ouverture d'un procès contre le laboratoire Sanofi qui a créé le Dengvaxia en 2015. Ce vaccin contre la contre la dengue, une grave fièvre hémorragique était très attendu aux Philippines. Le gouvernement de l'époque a donc lancé dès 2016 une vaste campagne de vaccination dans les écoles avec cette innovation. Or, fin 2017, Sanofi a révélé l'existence d'un risque de maladie plus grave si les personnes vaccinées n'avaient jamais rencontré le virus avant. La campagne a été interrompue et le recensement des cas graves a commencé.
Dix décès sont déjà au coeur de la procédure annoncée par le ministère de la Justice philippin mais il affirme que le nombre de dossiers en cours d'investigation est bien plus important. On devine donc tout de suite l'impact terrible de ces drames dans la population. Non seulement pour les familles touchées mais aussi pour celles qui ont l'impression d'avoir mis une épée de Damoclès au dessus de la tête de leur enfant en le faisant vacciner. Il est en effet souvent impossible de savoir si l'enfant a eu la dengue avant d'être vacciné puisque la maladie peut prendre une forme très banale avec une simple fièvre.
En plus de la fiabilité des vaccins, c'est celle des autorités sanitaires qui est aussi mise en cause pour avoir organisé une distribution massive d'un produit si récent. La procédure judiciaire met d'ailleurs en cause l'ancienne ministre de la Santé et d'autres décideurs de l'époque. Une façon pour le gouvernement actuel de marquer sa différence.
Restaurer la confiance de la population envers les vaccins
Pour enrayer l'épidémie de rougeole, il faut en effet d'urgence restaurer la confiance de la population envers les vaccins. L'ampleur du défi a été évaluée par une équipe de chercheurs anglais. Entre 2015, avant le Dengvaxia, et 2018, après le Dengvaxia, la confiance de la population envers les vaccinations est tombée de 93% à 32% de la population. Et ceux qui considèrent les vaccins comme des produits sûrs et efficaces ne sont plus que 21% au lieu de 82%. Au coeur des campagnes d'information et de vaccination actuelles, il y a donc le rappel du caractère ancien du vaccin contre la rougeole pour rassurer les parents. Tout est fait pour simplifier son accès avec des centres de santé ouverts le week-end, des campagnes dans des centres commerciaux...
Le ministère de la Santé du Brésil, qui est le troisième pays dans l'oeil du cyclone de la rougeole, a créé un spot pour montrer la gravité des fake news qui circulent sur les réseaux sociaux : "les fake news tuent".
Un message choc à la mesure de l'alerte en cours. Le nombre de cas de rougeole est passé de zéro en 2017 à plus de 10.000. Une campagne est en cours avec des témoins. Une femme qui a perdu cinq frères de la rougeole raconte son histoire en pleurant. La mascotte créée pour soutenir ce message rappelle à la fin du spot l'importance de la vaccination avec un slogan efficace : "Contre les regrets, il n'y a pas de vaccin".
Une vaccination d'urgence
Au Costa Rica, c'est une campagne de vaccination particulière qui vient d'être réalisée, sur la piste de trois Français venus y passer leurs vacances car ils avaient apporté la rougeole avec eux. Apparemment, ni le fils de 5 ans, ni le père n'étaient vaccinés. Ils viennent de sortir de l'hôpital où ils ont été mis en quarantaine pendant presque toutes leurs vacances.
Car le virus avait été éradiqué au Costa Rica depuis 2006 ! Et il peut se transmettre très facilement par de simples postillons par exemple. Les autorités sanitaires ont donc cherché toutes les personnes qui avaient été "en contact" avec cette famille pour rester dans les brefs délais où l'injection du vaccin est encore efficace.
D'autres "chasses à l'homme" ont lieu un peu partout dans le monde comme aux Etats-Unis, où un résident de l'Illinois, non vacciné, peut avoir semé des postillons dangereux pour ceux qui sont passé par l'aéroport international de Portland ou dans un restaurant "Robin le rouge" ou au parc d'attraction de trampoline de Salem.
Plusieurs états américains envisagent d'ailleurs de modifier leur loi en matière d'obligation vaccinale car certains autorisent encore des dérogations pour raisons religieuses par exemple.