Faire l'amour, est-ce du sport ?

CHRONIQUE - L'affirmation serait récurrente dans la presse grand public : "un gros câlin, c'est de 100 à 300 calories dépensées". Les physiologistes, qui s'intéressent à la question depuis la fin des années 1950, sont pourtant bien loin d'arriver à ce compte ! Quelle est la véritable dépense énergétique associée à cette activité ? Son intensité la rapproche-t-elle plus d'un petit footing ou d'un record de 110 mètres haies ? Autant de questions d'apparences très triviales, pourtant associées à des enjeux très sérieux... et à d'épineux défis méthodologiques.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Faire l'amour, est-ce du sport ? © Sandor Kacso - Fotolia
Faire l'amour, est-ce du sport ? © Sandor Kacso - Fotolia

Une question très sérieuse...

Durant la première moitié du XXe siècle, la dépense énergétique associée à la plupart des efforts physiques avait été mesurée. Combien d'énergie dépensée pour couper une bûche ? Combien pour monter des escaliers ? Pour courir le 110 mètres haies… ? On va établir des tableaux de références très complets et très précis.

Mais il restait une terra incognita, un territoire où le scientifique n'avait pas encore osé poser son pied : la chambre à coucher. En 1958[1], un certain Dr Bartlett présente une toute première description physiologique de ce qu'il s'y passe lorsqu'on ne dort pas. Des mesures par électrocardiogrammes, sur les corps nus "de couples légitimes" permettent ces premiers constats historiques : "l'orgasme s'accompagne d'une augmentation marquée de la fréquence cardiaque" et une "hyperventilation survient au cours de l'excitation érotique, et tout particulièrement lors de l'orgasme" !

Il sera le seul à oser signer une étude si licencieuse… Ses travaux donnent toutefois des idées à d'autres médecins. En particulier ceux qui suivent les victimes d'accidents cardiovasculaires[2]. Leurs patients doivent éviter de reprendre trop vite certains sports trop violents. Doit-on leur proscrire le "devoir conjugal" ? Pour répondre à cette question, il faut affiner les mesures de Bartlett.

A cette époque, l'épidémiologie commence[3] en outre à démontrer que réaliser régulièrement des exercices intenses (ou vigoureux, voir encadré) entraîne, pour une personne bien portante[4], de vrais gains en années de vie en bonne santé. L'OMS recommande aujourd'hui aux adultes qui le peuvent au moins 1h15 min d'activités intenses hebdomadaires, ou 2h30 d'activités modérées. Et de doubler pour en tirer des bénéfices[5]. Peut-on comptabiliser les ébats sous les draps dans un bilan d'activité sportive... ou doit-on nécessairement prendre le chemin du stade ?

Activité légère, modérée, intense

La définition retenue par la physiologie est liée au nombre de calories qu'un individu d'une corpulence donnée dépensées par minute d'activité. Dans les tableaux de référence, on utilise une unité de mesure standardisée, "l'équivalent métabolique", le MET (pour "metabolic equivalent of task"). La dépense énergétique d'un corps qui se contente de respirer, dans la position assise, sert de référence : 1 MET. Une activité "à 3 MET" est une activité qui fait dépenser trois fois plus d'énergie qu'en étant assis, à ne rien faire, durant un même laps de temps. Moins de 3 MET : l'activité est "légère". De 3 à 6 MET, elle est "modérée" (vélo à 15 km/h = 4 MET). Au-delà de 6 MET : l'activité est "vigoureuse" (ou "intense").

"Sieste crapuleuse" ou "sieste sportive" ?

Pour répondre à ces questions, on fait face à un problème de taille : comment réaliser les mesures ? Pour évaluer la dépense énergétique d'une course sur un tapis roulant, il y a tout un attirail qui pourrait briser l'élan romantique… Mais… les chercheurs n'ont pas d'état d'âme, et les études ont été vraiment faites ainsi…

Mais en 1970[2], des chercheurs s'insurgent des résultats obtenus. Des fréquences cardiaques approchant 180 battements ? Soixante expirations par minute ? C'est sûr, plusieurs choses biaisent les résultats. Selon eux, il y a "l'environnement contre nature" (je cite) du laboratoire, qui perturbe. Mais aussi et surtout que "les participants n'appartiennent pas à des unités conjugales établies", "certains avaient des problèmes conjugaux, certains participants devaient être des prostituées". Pire, le simple fait d'être bénévole leur apparaît "suspect" : les gens s'inscrivent pour profiter de l'aubaine de faire des galipettes, au nom de la science !

Ils suggèrent de laisser les participants rentrer chez eux, non sans les avoir équipé de holters cardiaques portatifs, avec enregistrement sur bande magnétique. L'idée est d'extrapoler des mesures du rythme cardiaque la dépense énergétique associée aux ébats amoureux, en comparant les mesures avec celles de tests d'efforts sur bicyclette. Cependant, en ne regardant que le rythme cardiaque, les résultats s'avèrent trop approximatifs. Ceci est d'autant plus vrai que le corps n'est pas dans la même posture sous les draps et sur un vélo...

En 1984[6], des chercheurs de l'Illinois refont les mesures en variant un tout petit peu les plaisirs, et les positions, pour être un plus près d'une pratique réelle. Monsieur est tantôt dessus, tantôt dessous, et on évalue la masturbation, solitaire ou en couple. Résultats des travaux : 1,7 MET pour la masturbation, 2,5 avec madame dessus, 3,3 avec monsieur dessus (on rappelle que marcher vite, c'est 3 MET). A l'approche de l'orgasme, certains participants atteignaient 5,4 MET... mais cette unité, on l'a dit, renvoie à une dépense calorique par minute... 

Ces mesures ont été révisées plusieurs fois... à la baisse. Jusqu'en 2010, les tableaux de référence de dépense énergétique jugeaient l'activité sexuelle "inférieure à 2 MET". En 2011, les chiffres ont été réhaussés, et arrêtés autour de 2,8 MET.

On notera que dans toutes les études, jusqu'aux années 2000, les travaux concernent "la dépense énergétiques des mâles dans des couples hétérosexuels". La femme n'est jamais considérée comme autre chose qu'un accessoire sportif. Les couples recrutés ne sont jamais de même sexe.

Une préoccupation toujours vive dans les laboratoires

Le sujet est toutefois loin d'être épuisé, et toutes les positions du Kama Sutra n'ont pas encore été évaluées...

Les mesures continuent. En 2013[7], des chercheurs québecois ont poursuivi l'enquête, en se préoccupant de la dépense énergétique féminine. Affublés d'un système de mesure standardisé positionné sur le bras, 42 participants hétérosexuels[8] ont tout d'abord effectué 30 minutes de course sur tapis roulant, en laboratoire. Puis les couples sont repartis chez eux, avec pour mission de ne revenir que lorsqu'ils auraient fait quatre fois l'amour. Interdiction formelle leur a été faite de s'adonner aux plaisirs de la chair sous l'emprise de la drogue ou de l'alcool, ou après prise de médicaments destinés à traiter les dysfonctions érectiles. Les scientifiques ont également prohibé "toute forme d'activité paraphile".

Vous ne pouvez pas dire « viens, chéri(e) on va suivre les recommandations de l'OMS »

Une fois les boîtiers détachés des bras des heureux participants, les scientifiques ont débuté leurs savantes analyses. Résultats : 3,6 MET pour les messieurs et 2,7 MET pour les dames. Mais ces résultats ont été critiqués à plusieurs titres. Premièrement, l'appareillage employé est connu pour légèrement surrévaluer les dépenses énergétiques… Surtout, il semble que les participants aient clairement surperformé, se sachant évalués par la science. Durée minimum d'une partie de jambe en l'air : 10 minutes. Durée maximum : 57 minutes. Temps moyen : 24,7 minutes. Or, les études antérieures évaluent plutôt le temps moyen de l'acte sexuel humain à 6 minutes.

Dans l'état actuel des connaissances scientifiques, une valeur moyenne comprise entre 2,5 et 3 MET reste plus réaliste… Malgré tout l'entrain des muscles abdominaux ou des fessiers, on reste en-deça d'une activité modérée. La "sieste crapuleuse" ne peut donc entrer dans aucun bilan d'activités sportives.

Avec la moyenne de 6 minutes d'activité sexuelle, on ne dépense qu'une quinzaine de calories de plus qu'en ne faisant rien. On est loin des 300 calories souvent vantées dans la presse ! Il faut y mettre du coeur pour éliminer un hamburger (2h15 sans s'arrêter !).

Notes et références

[1] Physiologic Responses During Coitus R. G. Bartlett. Journal of Applied Physiology, 1 nov. 1956.

[2] Voir notamment : Sexual Activity and the Postcoronary patient. H.K. Hellerstein & E.H. Friedman, Arch Intern. Med, juin 1970. doi:10.1001/archinte.125.6.987

[3] Voir : A history of physical activity, cardiovascular health and longevity. R.S. Paffenbarger JR, S.N. Blair et I.M Lee. International Journal of Epidemiology, 2001.

[4] Trop d’exercice physique vigoureux n’est en revanche pas forcément bénéfique pour certaines personnes. Des travaux suggèrent que ceci serait délétère pour les personnes en fort surpoids, pour des personnes souffrant d’importants problèmes cardiaques, etc.

[5] Deux importantes études publiées dans le JAMA en avril 2015, portant respectivement sur 661.000 personnes suivies durant 14 ans et sur les dossiers médicaux de 200.000 personnes, ont confirmé ces préconisations. La première a montré que ceux qui faisaient 150 minutes d’exercice modéré par semaine réduisaient de 30% leur risque de décès sur la période de suivi, par rapport à ceux ne réalisant aucun exercice. Un bénéfice maximal était atteint à 450 heures d’exercice modéré (-40%), mais cette valeur constituerait un seuil au-delà duquel aucun nouveau bénéfice n’est mesurable.  La seconde étude a montré que ceux qui consacraient 30% de leurs efforts à des exercices vigoureux avaient un risque diminué de 10% par rapport à ceux consacrant tout leur temps à l’activité modéré. Les auteurs concluent que 150 minutes d’activité, dont 20 à 30 minutes "vigoureuse", est bel est bien recommandable.

[6] Heart rate, rate-pressure product, and oxygen uptake during four sexual activities JG Bohlen, JP Held et coll. Arch Intern Med, 1984. doi:10.1001/archinte.144.9.1745

[7] Energy Expenditure during Sexual Activity in Young Healthy Couples. Julie Frappier et coll. Plos One oct. 2013 doi:10.1371/journal.pone.0079342

[8] Participants de 19 à 25 ans, "francophones et caucasiens", ces deux derniers points faisant explicitement partie des critères d’inclusion de l’étude...

Sources et études de référence, classées par date de publication :

1956 – Physiologic Responses During Coitus R. G. Bartlett. Journal of Applied Physiology.
1968 – Autonomic activity during sexual arousal. M.A. Wenger et coll. Psychophysiology. doi:10.1111/j.1469-8986.1968.tb02788.x
1970 – Sexual Activity and the Postcoronary patient. H.K. Hellerstein & E.H. Friedman, Arch Intern. Med, juin 1970. doi:10.1001/archinte.125.6.987
1971 – A comparative study of coital physiology, with special reference to the sexual climax C.A. Fox, B. Fox. J Reprod Fertil.
1971 – Physiological measures of sexual arousal in the human.  Zuckerman, M. Psychological Bulletin.
1973 – Recent studies in human coital physiology . C.A. Fox. Clinics in Endocrinology and Metabolism. doi:10.1016/S0300-595X(73)80013-1
1974 – Direct arterial pressure, heart rate, and electrocardiogram during human coitus. W.A. Littler et coll.Journal of Reproductive Fertility.
1976 – Electroencephalographic laterality changes during human sexual orgasm H.D. Cohen et coll. Archives of Sexual Behavior. doi:10.1007/BF01541370
1976 – Heart rate and blood pressure responses during sexual activity in normal males. Nemec ED, et coll. Am Heart J. doi:10.1016/S0002-8703(76)80106-8
1976 – Some Sexual Aspects of the Rehabilitation of Cardiac Patients. N.N. Wagner, dans Psychological Approach to the Rehabilitation of Coronary Patients (pp 118-129).
1976 – Some aspects and implications of coital physiology . C.A. Fox.  Journal of Sex and Marital Therapy. doi:10.1080/00926237608405323
1977 – Sexual activity in the heart patient . L.A. Soloff. Psychosomatics. doi:10.1016/S0033-3182(77)71062-X
1979 – Resumption of sexual activity following myocardial infarction . F.T. Masur. Sexuality and Disability. doi:10.1007/BF01102469
1980 – Heart rate and blood pressure responses to sexual activity and a stair- climbing test. J.L. Larson et coll. Heart Lung
1980 – Dynamic electrocardiogram in normal subjects during sexual activity. V. Masini et coll. G. Ital. Cardiol.
1984 – Heart rate, rate-pressure product, and oxygen uptake during four sexual activities JG Bohlen, JP Held et coll. Arch Intern Med, 1984. doi:10.1001/archinte.144.9.1745
1991 – Cardiovascular changes associated with sexual arousal and orgasm in men. B. Graber et coll. Annals of sex research. doi:10.1007/BF00851611
1995 – Effects of sexual intercourse on maximal aerobic power, oxygen pulse, and double product in male sedentary subjects. T. Boone, S. Gilmore. J Sports Med Phys Fitness.
1995 – Myocardial ischemia during sexual activity in patients with coronary artery disease Y. Drory et coll. The American journal of cardiology.
1996 – Sexual function in patients with advanced heart failure. T. Jaarsma et coll. Heart & Lung.
2000 – Cardiovascular response to sexual activity. Richard A Stein  The American Journal of Cardiology. doi:10.1016/S0002-9149(00)00888-2
2001 – Cardiovascular risks of sexual activity. A.M. Safi, R.A. Stein  Current Psychiatry Reports. doi:10.1007/s11920-001-0054-6
2007 – Heart Rate and Blood Pressure Response in Adult Men and Women During Exercise and Sexual Activity. S.T. Palmeri etcoll. The American Journal of Cardiology. doi:10.1016/j.amjcard.2007.07.040
2013 – Energy Expenditure during Sexual Activity in Young Healthy Couples. Julie Frappier et coll. Plos One oct. 2013 doi:10.1371/journal.pone.0079342