Quand un gène fait silence, le chercheur tend l'oreille...

Une étude génétique, menée au Pakistan, a permis d’identifier de nombreux individus porteurs de versions de gènes mutés... au point d’avoir perdu toute fonction. Des particularités qui offrent l’opportunité de mieux comprendre le rôle de ces gènes dans le reste de la population... et de valider certaines hypothèses sur l'intérêt ou la sécurité de diverses stratégies thérapeutiques !

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Les cancers génétiques représentent 5 à 10% du total des cancers.
Les cancers génétiques représentent 5 à 10% du total des cancers.

En dépouillant des données génétiques dans le cadre d’une étude menée au Pakistan sur les maladies cardiaques, des chercheurs ont fait une découverte de taille : chez 1.843 participants sur 10.503, un ou plusieurs de leurs gènes ont totalement perdu leur fonction.

Chaque être humain possède deux jeux de chromosomes, hérités de son père et de sa mère. Nos gènes [1]sont donc présents en deux exemplaires, notre père et notre mère pouvant nous avoir transmis des versions identiques ou différentes [2].

Du fait d’une erreur de duplication dans nos cellules, il est possible que certains gènes soient littéralement "désactivés" sur l’un des chromosomes. La version du gène issue du second parent permet généralement à cette perte de fonction de passer totalement inaperçue…

Mais le groupe étudié au Pakistan, du fait de son isolement, a célébré au fil des siècles de nombreux mariages consanguins. Des versions rares (mais actives) de gènes sont présents en deux exemplaires chez certains individus, tandis que d’autres possèdent des chromosomes sur lesquels certains gènes ne peuvent plus jouer le moindre rôle. Selon les données présentées mi-avril dans la revue Science, 891 individus ont un gène "manquant", 224 deux gènes "manquants", 95 trois, 46 quatre, 29 cinq… et 32 se distinguant par l’inactivation totale de six gènes ou plus !

L’étude menée recensait par ailleurs environ 200 paramètres biologiques (tension artérielle, cholestérolémie, taux de diverses hormones…). Leur mise en perspective avec les profils génétiques des différents participants - et surtout de ceux chez qui un ou plusieurs gènes sont absents - promet d’être extrêmement instructif.

Instructives absences

En génétique, la connaissance des rôles des différents gènes repose essentiellement sur des expériences sur des modèles animaux (suppression volontaire de gènes chez des souris, notamment). Dans un commentaire à l’étude, également publié dans Science, le généticien Robert Plenge juge que les recherches sur les individus chez qui un gène est naturellement absent pourrait "[changer] la nature de l'investigation scientifique de la base génétique des maladies humaines".

Parmi les anomalies remarquables, mises en exergue par les chercheurs, on peut citer les conséquences de l’inactivation du gène APOC3. APOC3 code normalement pour la protéine ApoC3, qui limite l’élimination des graisses hors du corps. Or, les individus ne pouvant produire ApoC3 seraient en meilleure santé cardiovasculaire que les autres. La production d’ApoC3 était une cible déjà envisagée par divers laboratoires pharmaceutiques, mais on ignorait jusqu’à présent quelle aurait pu être la conséquence de son inhibition totale… Les profils pakistanais suggèrent que de tels médicaments inhibiteurs d'ApoC3 pourraient être sans danger.

la rédaction d'Allodocteurs.fr

Sources :

  • Human knockouts and phenotypic analysis in a cohort with a high rate of consanguinity. D. Saleheen et al. Nature,13 avr. 2017. doi: 10.1038/nature22034.
  • Human genes lost and their functions found. R. Plenge. Nature,13 avr. 2017. doi:10.1038/544171a.


[1] Le génome humain comporte de 20.000 à 25.000 gènes, selon les estimations.

[2] Pour reprendre un exemple célèbre, si nos deux parents transmettent le gène codant pour le groupe sanguin A, notre groupe sera A ; s’ils transmettent la version A et B, nous seront AB…