Phagothérapie : des chercheurs décryptent comment les virus peuvent tuer des bactéries

Une équipe de chercheurs franco-belge décrypte, pour la première fois, les mécanismes précis d'action d'un bactériophage, virus connu pour son potentiel thérapeutique contre les infections bactériennes. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Plos Genetics, le 5 juillet 2016.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Reportage à l'institut Pasteur du 8 juillet 2016
Reportage à l'institut Pasteur du 8 juillet 2016

Utiliser des virus pour tuer des bactéries. C'est le principe d'une approche médicale combattant les infections bactériennes et nommée phagothérapie. Non pathogènes pour l'homme et naturellement présents dans la nature, les bactériophages sont des virus capables de reconnaître spécifiquement des bactéries et de les éliminer. Il y a près d'un siècle, Félix d'Hérelle, chercheur à l'Institut Pasteur, avait proposé d'utiliser cette propriété en thérapeutique.

Le virus reconnaît spécifiquement une bactérie grâce à un récepteur situé sur sa paroi. Il s'y fixe puis perce un trou et injecte son matériel génétique dans la bactérie. Il détourne la machinerie cellulaire nécessaire à la vie du micro-organisme pour fabriquer de nouveaux virus. Quand des dizaines de phages se sont accumulés, il produit une substance (enzyme) pour désintégrer la paroi de la bactérie qui éclate en libérant tous les nouveaux virus.

Le retour de la phagothérapie face à la montée de l'antibiorésistance

Initialement utilisée dans le monde entier, cette technique a été progressivement abandonnée en France au profit des antibiotiques qui semblaient plus prometteurs. Elle a connu, en revanche, un grand essor dans les pays de l'Est, à partir des années 1940, où elle est toujours pratiquée.

Aujourd'hui, elle revient en grâce dans les pays occidentaux, comme alternative possible au traitement antibiotique, devant l'augmentation des résistances bactériennes, véritable problème de santé publique mondial. Mais, avant de pouvoir recourir à la phagothérapie dans un cadre médical sécurisé, les connaissances sur le mode d'action de ces virus doivent être approfondies.

"Rendre à nouveau possible l'utilisation de ces virus" en thérapeutique

C'est là tout l'intérêt des résultats d'une recherche menée par une équipe franco-belge, incluant des scientifiques de l'Institut Pasteur, dirigés par Laurent Debarbieux, et de l'université Catholique de Louvain (Belgique), dirigés par Rob Lavigne. Ils ont décrypté ce qu'il se passait précisément au cœur d'une bactérie infectée par un phage.

Jusque-là, les scientifiques connaissaient le principe général de l'action des bactériophages. Maintenant, ils en appréhendent les subtilités.

"Ces travaux devraient inciter la caractérisation d'autres bactériophages à potentiel thérapeutique, commente Laurent Debarbieux. Nous espérons qu'ils contribueront, à terme, à rendre de nouveau possible en France l'utilisation de ces virus à des fins médicales."

Dans leur publication, les chercheurs exposent les différentes stratégies moléculaires d'un bactériophage pour pirater la machinerie cellulaire de la bactérie. Ces résultats concernent un phage spécifique de la bactérie Pseudomona aeruginosa souvent responsable d'infections pulmonaires résistantes chez des patients fragiles ou immunodéprimés.

Un piratage viral orchestré

Ce bactériophage use de plusieurs stratagèmes pour déstabiliser la bactérie. D'une part, il détruit précocement des éléments nécessaires à la vie de la bactérie : les ARN. Ce sont des copies de morceaux d'ADN permettant à l'information génétique de voyager dans la bactérie et d'en organiser le bon fonctionnement. D'autre part, il favorise la production de ses propres ARN qui portent l'information nécessaire à la fabrication des constituants des nouveaux virus.

Le bactériophage devient ainsi le véritable chef d'orchestre de la machinerie celullaire bactérienne et organise finement les étapes de production et d'assemblage des nouvelles particules virales.

Etude de référence : Next-Generation“-omics”Approaches Reveal a Massive Alteration of Host RNA Metabolism during Bacteriophage Infection of Pseudomonas aeruginosa, Plos Genetics, July 5, 2016. http://dx.doi.org/10.1371/journal.pgen.1006134