Nobel de chimie : capteurs de sens aux frontières des cellules

A chaque seconde, notre organisme reçoit des milliers d'informations provenant de notre environnement, mais aussi de nos propres sensations : bruit, lumière, odeur, goût et émotion comme la peur ou le plaisir. La réception et l'analyse de ces informations, qu'elles soient conscientes ou non, nécessitent la présence de petits récepteurs spécifiques présents à la surface même de nos cellules, les récepteurs couplés à la protéine G (RCPG). C'est pour leurs travaux sur ces récepteurs que deux professeurs américains, Robert Lefkowitz et Brian Kobilka, ont reçu le prestigieux prix Nobel de chimie.

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
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Nobel de chimie : capteurs de sens aux frontières des cellules
Robert Lefkowitz
Robert Lefkowitz
Brian Kobilka
Brian Kobilka

Après le prix Nobel de médecine et de physique, c'était au tour du prix Nobel de chimie d'être décerné le 10 octobre 2012. Une récompense qui en a surpris plus d'un… Robert Lefkowitz et Brian Kobilka ont été récompensés pour leurs recherches, riches d'applications en pharmacologie, sur les RCPG, une famille de récepteurs permettant aux cellules de "s'adapter à des situations nouvelles", selon l'Académie.

Pour mieux comprendre cette découverte, prenez du chocolat

D'un aspect lisse et luisant, blanc, noir ou marron, il émet un arôme particulier qui vous incite ou non à le croquer. Lors de sa dégustation, il laisse échapper un goût amer ou léger qui peut vous procurer plaisir ou dégoût. Comment marchent ces simples actes de percevoir, sentir, goûter et apprécier ? Ce sont Robert Lefkowitz et Brian Kobilka qui nous l'ont expliqué grâce à leur formidable découverte.

Les travaux de Robert Lefkowitz, professeur de médecine et de biochimie à l'université de Duke ont commencé à la fin des années 60. En tentant de localiser les récepteurs cellulaires de différentes hormones grâce à un isotope radioactif, il a identifié le récepteur bêta-adrénergique. Ce qu'il ne savait alors pas, c'est que ce récepteur fait partie de la très grande famille des RCPG.

L'Académie explique : "L'équipe a franchi ensuite une grande étape durant les années 1980. La nouvelle recrue Kobilka a relevé le défi d'isoler le gène qui code le récepteur bêta-adrénergique à partir du gigantesque génome humain".

Durant ses travaux, Brian Kobilka, maintenant professeur de médecine, de physiologie moléculaire et cellulaire à la faculté de médecine de Stanford, s'aperçoit que la structure d'un autre récepteur, celui de la rhodopsine, participant à la vision, est la même que le récepteur bêta-adrénergique, quelques années auparavant découvert.

C'est ce qu'il découvre par la suite qui a bouleversé la recherche. En dépit de leur fonction très différente, les deux récepteurs ont un point commun : ils interagissent avec la protéine G intracellulaire.

Pour mieux comprendre le processus physiologique, prenons l'image d'une clé et de sa serrure. Les hormones, comme celles du plaisir ou du stress (la sérotonine et l'adrénaline), les photons (la particule élémentaire de la lumière) et les acides aminés, représentent une clé. Chacun d'entre eux se lient à son propre récepteur, considéré comme sa serrure.

Le simple fait de passer la clé dans sa serrure modifie la conformation de la protéine G intracellulaire, ce qui l'active et déclenche alors une cascade de signaux intracellulaires dont le but ultime est une réponse cellulaire appropriée. C'est cette réponse qui nous permet de voir, sentir et ressentir.

Un enjeu considérable pour la pharmacologie

"Certains disent que jusqu'à 50 % de tous les produits pharmaceutiques reposent sur une action ciblant les RCPG. Savoir à quoi ils ressemblent et comment ils fonctionnent nous donnera des outils", pour concevoir "de meilleurs médicaments avec moins d'effets secondaires", a-t-il ajouté.

Des études à ce sujet fleurissent à travers le monde. Par exemple, on vient de découvrir que des RCPG anormaux interviendraient dans des pathologies aussi variées que le diabète de type 2, la calvitie et les tumeurs cortico-surrénaliennes. Ils pourraient aussi aider les chercheurs à développer d'autres antalgiques aussi puissants que la morphine, mais sans tous ses effets secondaires.

Sources :
- "Rare MTNR1B variants impairing melatonin receptor 1B function contribute to type 2 diabetes", Nature Genetics, 29 janvier 2012
- "Prostaglandin D2 Inhibits Hair Growth and Is Elevated in Bald Scalp of Men with Androgenetic Alopecia", Science, 21 mars 2012
- "Systematic analysis of G protein-coupled receptor gene expression in adrenocorticotropin-independent macronodular adrenocortical hyperplasia identifies novel targets for pharmacological control of adrenal Cushing's syndrome",Journal of Clinical endocrinology and Metabolism, octobre 2010
- "Crystal structure of the µ-opioid receptor bound to a morphinan antagonist", Nature, 21 mars 2012

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