Les maltraitances médicales "très difficiles à quantifier"

Face à la polémique provoquée par le nouveau livre de Martin Winckler « Les brutes en blanc », Sylvain Fernandez-Curiel, chargé de mission au Collectif Interassociatif sur la santé (CISS), nous fait part du vécu des patients.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Les maltraitances médicales "très difficiles à quantifier"
  • Allodocteurs.fr: Que pensez vous de la polémique autour de la sortie du livre de Martin Winckler « Les brutes en blanc » sur la maltraitance médicale ?

Sylvain Fernandez, chargé de mission CISS : « Le titre est inutilement racoleur mais c’est le jeu pour faire vendre. Néanmoins, les témoignages de Martin Winckler sont édifiants. De plus, il n’a certainement  pas voulu dire que tous les médecins sont des brutes, comme ça a pu être dit dans la presse. Je rejoins le propos de l’auteur en ce qui concerne le problème de formation des médecins. On forme de bons cliniciens mais on ne les forme pas sur la communication auprès des patients et leur psychologie. Et pourtant, ce n’est pas inné chez tout le monde, la capacité à dialoguer avec le malade. En France, on n’inclut que très exceptionnellement des patients dans le cursus de formation à la différence du Canada et du Royaume-Uni. Il ne s’agit pas forcément de mettre des patients dans les cours cliniques mais plutôt en simulation de consultation ou sur le savoir-être avec le patient. La vision du médecin paternaliste est encore trop souvent là, même si on s’en éloigne doucement. »

  • Allodocteurs.fr: "Quels sont les acteurs en santé qui font évoluer ce modèle paternaliste ?"

Sylvain Fernandez : « Les associations de patients ont fait bougé les lignes. Pour le SIDA par exemple, dans les années 80-90, AIDES et ACT’UP ont fait évoluer les choses concernant l’ignorance de cette maladie, le désir de s’informer, et ont rééquilibré la relation patient-soignant. Les scandales sanitaires comme le sang contaminé ou la clinique du sport ont aussi contribué à rééquilibrer cette relation. De même que le combat contre les maladies rares où patients comme soignants sont relativement démunis. Mais on tarde encore trop en France à explorer le partenariat soigné-soignant. La loi de 2002 sur les droits des malades a pourtant inscrit la décision partagée patient-médecin dans le code de santé publique. Plus il y aura de communication avec le patient, meilleurs seront les résultats. De plus, il y a aussi une certaine tendance à n’inclure le patient dans la décision médicale que s’il appartient à la même classe sociale. Pour cette raison, il serait bon d’inclure des cours de sciences humaines dans le cursus des médecins au risque de contribuer au creusement des inégalités sociales de santé. Mais il est très compliqué de rallonger un cursus qui apparait déjà long et lourd.»

  • Etes vous d’accord avec Mathieu Calafiore lorsqu’il écrit dans sa tribune : « Ces brutes professionnelles (…) sont fort heureusement, marginaux. » ?

Sylvain Fernandez : « D’abord, ce n’est pas parce que ce serait marginal que ça doit être minimisé, voire souvent nié.  Par ailleurs, la difficulté  c’est qu’il n’y a pas vraiment de lieu pour recueillir les témoignages des patients, plus particulièrement en ville c’est-à-dire hors établissement de santé. Un guichet public d’accompagnement des réclamations en santé est en cours de conception et va être expérimenté dans certains territoires. Actuellement, il est très difficile de quantifier les maltraitances médicales. Là où elles apparaissent le plus clairement, c’est certainement dans les maternités et en gynécologie. Qu’on le veuille ou non, on viendra à un système similaire à celui de TripAdvisor version santé avec les avis des patients en ligne. Chacun doit s’y préparer pour en tirer le meilleur. La Haute Autorité de Santé (HAS) a conçu un formulaire de satisfaction à l’hôpital (e-satis) dont les résultats commencent à être publiés. Ce questionnaire de satisfaction est proposé aux patients dans les établissements de santé à partir de 48h d’hospitalisation. Cependant, le système doit tendre vers un questionnaire de satisfaction systématique, que ce soit en ambulatoire ou aux urgences. Et le problème reste prégnant dans le secteur libéral où les médecins et soignants ne sont évalués que par leurs pairs, quand ils le sont ! L’idée de l’évaluation et de la prise en compte des plaintes et réclamations des patients n’est pas de pointer tel ou tel professionnel défaillant mais bien d’améliorer l’accueil, la prise en charge et l’accompagnement des patients, qu’ils soient considérés comme des personnes dans leur globalité et non plus simplement comme un organe malade sans voir la personne derrière.»