Le nombre de décès liés aux erreurs médicales est-il sous-estimé ?

Les décès liés à une erreur dans le diagnostic ou la prise en charge des patients ne sont pas systématiquement recensés comme tels. Ce constat, dressé pour les Etats-Unis par deux chercheurs dans un court article, publié ce 3 mai dans le British Medical Journal, vaut-il aussi pour la France ?

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Le nombre de décès liés aux erreurs médicales est-il sous-estimé ?

L'erreur est humaine, les professionnels de santé sont humains donc – c'est implacable – ils commettent parfois des erreurs. La notion d’erreur médicale peut ainsi être définie (voir encadré) comme une conséquence non anticipée – c’est à dire inattendue, mais évitable – d’une décision prise par un professionnel de santé sur l’état du patient.

Ces erreurs peuvent parfois conduire, à court, moyen ou long terme, au décès du patient.

Dans un court article publié le 3 mai 2016 dans le British Medical Journal (BMJ), deux chercheurs ont cherché à évaluer le nombre de ces décès annuels aux Etats-Unis. Des travaux antérieurs, publiés en 1993 et en 1999, avaient estimé que sur les 180.000 décès iatrogènes recensés (voir encadré), qu’entre la moitié et les quatre cinquièmes (soit entre 90.000 et 140.000) pouvaient être considérés comme "évitables", et relevaient donc d’une erreur médicale. Dix ans plus tard, un rapport de l’Agence pour la qualité des soins et la recherche sur la sécurité des patients avait évalué ce nombre de décès évitables à 195.000 pour les seuls bénéficiaires de la sécurité sociale nationale Medicare (180.000 selon une estimation publiée en 2008).

Des travaux publiés en 2010 évaluaient autour de 135.000 les décès de patients hospitalisés, liés à un manque de soins. Une étude publiée l'année suivante extrapolait la valeur de l’ensemble des décès évitables annuels à 400.000.

Les auteurs de l’article du BMJ notent que si le taux de "quatre cinquièmes" identifié dans les études de 1993 et 1999 était appliqué au nombre de décès à l’hôpital aux Etats-Unis en 2013, les erreurs médicales auraient causé 250.000 morts – soit un dixième des décès recensés dans le pays, et la troisième cause après les maladies cardiaques (611.000 morts) et les cancers (585.000 morts).

Mais les chercheurs observent qu’aucune des études antérieures n’intègre les décès liés à des erreurs médicales dans le cadre de soins à domicile, dans des maisons de soins, ni même ceux découlant de soins ambulatoires (sans hospitalisation).

"L'absence de données nationales met en évidence la nécessité d'une mesure systématique du problème", déplorent-ils. "Actuellement, les décès causés par des erreurs médicales ne sont pas recensés", poursuivent-ils. L’une des conséquences est, selon eux, que les discussions et débats sur la prévention de ces décès "portent seulement sur une fraction des événements indésirables détectés, et les enseignements tirés ne sont pas diffusés au-delà de l'institution [où se tiennent ces échanges]".

Les chercheurs proposent notamment que les certificats de décès ne précisent plus uniquement les causes des décès, mais également "si une complication évitable découlant de soins médicaux du patient a contribué à la mort" [3].

En France, un rapport national publié en 2013 évaluait entre 10.000 et 30.000 le nombre de décès liés "à un accident médicamenteux". Sur son site web, Le Lien, association d’aide aux victimes d’accidents médicaux, retient ce chiffre de 30.000 pour le nombre de décès liés à des accidents médicaux. Si l’on retient cette dernière valeur, elle correspond à 5% des décès à l’échelle nationale.

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) prévoit d’initier fin 2017 une étude de grande ampleur sur la iatrogénie, afin d’affiner ces estimations.

 


[1] La Conférence nationale de santé de 1996 avait défini l’iatrogénie comme "toute pathogénie d’origine médicale au sens large, compte tenu de l’état de l’art à un moment donné, qui ne préjuge en rien d’une erreur, d’une faute ou d’une négligence". En 1998, le Haut Comité 
de la santé publique avait proposé d’élargir cette définition, pour qu’elle recouvre "les conséquences indésirables ou négatives sur l'état de santé individuel ou collectif de tout acte ou mesure, pratiqués ou prescrits par un professionnel habilité, et qui vise à préserver, améliorer ou rétablir la santé".

[2] Les auteurs dérivent cette définition synthétique de plusieurs articles antérieurs :

  • Error in medicine. L.L. Leape. JAMA, 1994. doi:10.1001/jama.1994. 03520230061039 pmid:7503827.
  • Human error. J. Reason Cambridge University Press, 1990. doi:10.1017/ CBO9781139062367.
  • Understanding adverse events: the human factor. J.T. Reason (dans Clinical risk management: enhancing patient safety. C. Vincent) BMJ, 2001.

[3] Une expérience menée en 2013 à Boston, portant sur une telle question, avait atteint un nombre de réponse positif de 89%.

Le terme d’iatrogénèse est généralement employé pour désigner les conséquences néfastes, sur l'état de santé d’un patient, d’une décision prise par un professionnel de santé qui visait initialement à maintenir ou améliorer cet état [1].

La notion d’erreur médicale ne recouvre pas nécessairement cette seule définition. Les auteurs de l’article publié dans le British Medical Journal retiennent l’idée [2] d’une conséquence involontaire sur la santé d’un acte médical (ou d’une erreur dans l’exécution de l’acte/le processus de soin). L’article se focalise sur les erreurs évitables.

En France, sur le plan juridique, on distingue l'erreur médicale due à une faute professionnelle du médecin – par définition, évitable – de l’aggravation non prévisible de l'état du patient suite à un acte médical (aléa thérapeutique, dont infections nosocomiales).