Des diplomates victimes d’une arme inconnue… ou de la peur de celle-ci ?

PARTIE 4/4 – Depuis 2016, des diplomates canadiens et étasuniens basés à Cuba et en Chine ont développé d’étranges symptômes. Des psychologues jugent que leur origine vraisemblable n'est pas physique, mais psychologique.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Des diplomates victimes d’une arme inconnue… ou de la peur de celle-ci ? (illustration : Alexandr Sidorov)
Des diplomates victimes d’une arme inconnue… ou de la peur de celle-ci ? (illustration : Alexandr Sidorov)

Les symptômes rapportés par les diplomates nord-américains basés à La Havane ou à Canton (voir partie 1) sont-ils causés par des ultrasons (voir partie 2) ? Par des micro-ondes (voir partie 3) ?

Pour plusieurs psychologues, tems le cubain Dionisio Perez ou l'étasunien Robert Bartholomew, l’origine du mal est clairement à chercher ailleurs.

"Le problème avec [la dernière hypothèse en date] est que cela nécessiterait un émetteur massif et que la cible devrait être juste à côté de l'antenne", insiste Bartholomew dans le magazine Psychology Today. " Ça n’est tout simplement pas réalisable. Ceux qui ont rapporté des symptômes étaient non pas à l’ambassade, mais chez eux ou dans l’un des deux principaux hôtels de La Havane. Cibler [ces personnes] dans ces lieux et non seulement peu pratique : cela n’a juste aucune sens. "

Selon lui, les recherches publiées début 2018 à l'appui de l'hypothèse de symptômes liés "à une source d'énergie inconnue" présentent de nombreux défauts et biais, ainsi que "des allégations qui ne sont pas étayées par les données". Une fois écartées "les affirmations douteuses", en l’occurrence celle des modifications de la substance blanche ("communes à des situations allant de la dépression au vieillissement") et celle de symptômes de commotion cérébrale ("pour lesquels il n’existe aucune preuve claire"), on se retrouverait face à autre chose. En l’occurrence, "un cas classique d’épidémie de masse d’origine purement psychologique".

Une "psychose de l’attaque sonique"

Spécialiste du sujet, Bartholomew récuse les raccourcis caricaturaux présentant les victimes comme "des hypocondriaques" qui "feraient semblant". On parlerait bien ici de "réponse collective à un stress". Les employés de l’ambassade cubaine, particulièrement sensibilisés à divers risques de tentative de déstabilisation ou d’ingérence (micros cachés, empoisonnements…), auraient collectivement entretenu leur attention sur des symptômes vagues – auxquels ils seraient restés indifférents dans un autres contexte.

Le chercheur rappelle l’existence de cas analogues dûment documentés dans la littérature scientifique. Il évoque notamment une épidémie survenue en 1974 dans une école infirmière aux États-Unis, "impliquant des altérations de l’audition, couplées à des sensations et des perceptions auditives étranges".

D’autres cas à venir, prédit Bartholomew

Dans plusieurs articles et communications scientifiques récents [1], Perez et Barholomew développent d’autres arguments en faveur de l’hypothèse d’une "psychose de l’attaque sonique" [2]. Selon le second, le fait qu’un événement analogue ait été rapporté en Chine "rend encore moins vraisemblable le fait qu’il s’agisse d’une attaque [physique]", notamment par le simple changement d’échelle de la tentative de déstabilisation.

Détaillant le cas chinois, il constate qu’une alerte a été relayée "de façon sensationnaliste" par le Département d’État des États-Unis, essentiellement "sur la base des symptômes vagues (vertiges, maux de tête, les plus communs qui soient) de deux diplomates".

Une telle communication constitue selon lui "la recette" idéale pour voir se propager la psychose. "Les États-Unis ont près de 300 ambassades, consulats et missions diplomatiques à travers le monde avec des milliers d’employés, de l’Afghanistan au Zimbabwe, tous avec des collaborateurs qui vont désormais être à l’affût de sons étranges et de vagues sensations qui peuvent être associées à une maladie".

Le psychologue veut bien rester ouvert à l’hypothèse des micro-ondes, mais estime qu’aucun argument sérieux n’est aujourd’hui sur la table. En vertu du "principe de parcimonie", qui invite à privilégier – jusqu’à ce que de nouveaux éléments soient versés au dossier – l’hypothèse qui fait intervenir le moins d’éléments incertains ou douteux, il invite à faire preuve de scepticisme. "L’hypothèse la plus plausible, au regard des données acquises de la science, [est bien] celle d’une maladie d’origine exclusivement psychologique".

 


[1] Voir notamment :

  • R.E. Bartholomew, “Politics, Scapegoating and Mass Psychogenic Illness: Claims of an ‘Acoustical Attack’ in Cuba are Unsound.” Journal of the Royal Society of Medicine, 2017. 110(12): pp. 474-475.
  • R.E. Bartholomew & D.F. Perez, "Chasing Ghosts in Cuba: Is Mass Psychogenic Illness Masquerading as an Acoustical Attack?" The International Journal of Social Psychiatry, 2018. 64(5): pp. 413-416.
  • R.E. Bartholomew, "Neurological Symptoms in US Government Personnel in Cuba." Journal of the American Medical Association, 2018. 320(6): 602.
  • R.E. Bartholomew & D.F. Perez, "Sonic Attack Claims Stir Controversy in the United States." Op Ed. Swiss Medical Weekly, 2018.

[2] Robert Bartholomew emploie les termes de "Sonic Attack Scare" et de "Microwave Panic".