Virus Zika et microcéphalies : risque maximum au premier trimestre de grossesse

L’étude de 8.000 grossesses survenues durant l’épidémie de Zika en Polynésie Française entre septembre 2013 et juillet 2015 vient une nouvelle fois renforcer l’hypothèse du lien entre le virus et la microcéphalie du nourrisson. Selon toute vraisemblance, en cas d’infection par Zika au cours du premier trimestre de grossesse, la probabilité de cette malformation est de l’ordre 1%. Le taux observé hors épidémie est 50 fois moindre. Arnaud Fontanet, l'un des coauteurs de ces travaux publiés le 15 mars dans la revue The Lancet, était aujourd'hui l'invité du Magazine de la Santé de France 5.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Examen d'un enfant atteint de microcéphalie. (image d'archive) - Vidéo : entretien avec le Pr Arnaud Fontanet, responsable de l'unité de recherche d'épidémiologie des maladies émergentes
Examen d'un enfant atteint de microcéphalie. (image d'archive) - Vidéo : entretien avec le Pr Arnaud Fontanet, responsable de l'unité de recherche d'épidémiologie des maladies émergentes

Début février 2016, l’Organisation Mondiale de la Santé a lancé un appel à la communauté scientifique pour déterminer la nature de la corrélation observée entre épidémie de Zika aux Amériques et cas de microcéphalies. Dans cette optique, des chercheurs français ont analysé les données disponibles concernant la Polynésie française, où le virus a sévi entre septembre 2013 et juillet 2015.

"Sur cette période de deux ans, 8.000 grossesses ont été enregistrées en Polynésie Française", explique Arnaud Fontanet, coauteur des travaux, à la rédaction d'Allodocteurs.fr. "Dix-huit malformations congénitales ont été enregistrées, dont huit cas de microcéphalies. Sept de ces huit cas sont survenus dans la période d’épidémie chez des personnes qui ont pu être exposées au virus. Un seul cas est complètement isolé, c’est-à dire qu’il n’est pas relié à la présence de Zika. Or, la prévalence de la microcéphalie, à l’échelle mondiale, est de 2 cas pour 10.000 grossesses, c’est-à-dire que l’on pouvait normalement s’attendre à 1 ou 2 cas de microcéphalie". En d’autres termes, six à sept des cas recensés sont clairement anormaux.

Une analyse plus fine de ces cas a été réalisée par les chercheurs, qui permet d’avancer deux faits importants. Premièrement, que la période de vulnérabilité maximale du fœtus au virus Zika, pour ce qui est de la microcéphalie, correspond au premier trimestre de grossesse.

Seconde estimation importante : être exposé à Zika durant ce 1er trimestre est associé à un risque significativement accru de microcéphalie [1]. En effet, la prévalence estimée de la microcéphalie, pour une exposition au premier trimestre de grossesse, est de 34 à 191 cas pour 10.000 grossesses (soit entre 0,34 et 1,91%, donc de l’ordre de 1%). Ce chiffre est à comparer avec la prévalence normale des microcéphalies à l’échelle mondiale, qui est de 2 cas pour 10.000 grossesses (0,02%).

"Le scénario le plus vraisemblable"

Ces estimations ont été réalisées à l’aide d’une modélisation mathématique qui peut être décrite assez simplement.

"Nous savons qu’il y a en moyenne 80 nouvelles grossesses par semaine en Polynésie Francaise", détaille Arnaud Fontanet. "Nous avons créé un modèle mathématique qui associe le nombre de grossesse en cours, sur deux années, [à] l’évolution de l’épidémie de Zika entre septembre 2013 et juillet 2015, établi en fonction des cas confirmés par la sérologie, ainsi qu’[aux] cas de microcéphalie enregistrés [sur les fœtus ou à la naissance]. Nous avons fait varier [la valeur de] deux paramètres : le trimestre de grossesse où était susceptible de survenir l’infection, et la probabilité de [malformation] en cas d’infection. Nous avons testés de très nombreux scénarios : celui qui correspond le mieux à la situation réellement observée sont les chiffres présentés : risque de 1%, en cas d’infection au premier trimestre. Les autres scénarios ne sont pas impossibles, mais celui-ci est le plus probable."

Le faisceau de présomption se resserre très fortement

Ces travaux, publiés ce 15 mars 2016 dans la revue médicale The Lancet, resserrent très fortement le faisceau de présomption existant sur le lien entre Zika et microcéphalie. Une semaine auparavant, une étude dans la revue Cell Stem Cell montrait que les cellules souches neuronales en développement pouvaient être infectées par Zika, avec des conséquences sur leur prolifération. "Ce développement neuronal [primitif] survient lors du 1er trimestre de développement in utero, ce qui ajoute du poids de nos conclusions", note Arnaud Fontanet. Autre fait avéré : la présence du virus dans un grand nombre de fœtus microcéphales autopsiés aux Amériques. "À mon sens, cet ensemble de données cohérentes peuvent permettre à l’OMS de tirer des conclusions solides", conclut-il.

Les auteurs de l’étude doivent dorénavant s’atteler à l’analyse des 10 cas de malformations congénitales hors-microcéphalies potentiellement liées à Zika, recensées sur la cohorte polynésienne étudiée. Les chercheurs notent toutefois que ces anomalies étant très hétérogènes et peu spécifiques, il sera difficile d’avérer un lien avec le virus.

 

Source : Association between Zika virus and microcephaly in French Polynesia, 2013–15: a retrospective study. S. Cauchemez et coll. The Lancet, 15 mars 2016 doi: 10.1016/S0140-6736(16)00651-6

 


[1] Risque estimé au moins 17 fois supérieur, au maximum 95 fois supérieur