Paul Klee ou l'art de sublimer la douleur

Ce mercredi 29 juin a lieu la Journée mondiale de la sclérodermie, une maladie dont était atteint Paul Klee, un peintre majeur du XXe siècle. Jusqu'au 1er août 2016, le centre Pompidou à Paris lui consacre une vaste exposition sous l'angle de l'ironie. Le Magazine de la santé s'est intéressé à la dernière période de la vie de l'artiste, période pendant laquelle il s'est battu contre cette maladie rare encore non identifiée à l'époque.

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le

Expressionnisme, cubisme, surréalisme… Paul Klee a eu plusieurs vies en peinture. Mais une seule attitude pour représenter son époque : l'ironie. "Il réalise des œuvres très jubilatoires, par moments très fortes, très engagées. Il a recours aux dessins d'enfants, très ludiques, comme une sorte de pied de nez à sa gravité. Cette attitude ironique lui donne cette grande liberté, de jouer, de se moquer de ce qui lui arrive. Et ce qui lui arrive notamment à la fin de sa vie est très grave", raconte Angela Lampe, commissaire d'exposition.

En 1933, Hitler arrive au pouvoir. Installé depuis 27 ans en Allemagne, Paul Klee est aussitôt chassé du pays qui a fait de lui un artiste reconnu. Accusé d'être juif par les Nazis, son œuvre est considérée comme dégénérée. Il retourne alors dans sa Suisse natale et symbolise son exil forcé sur une toile, par une croix noire. "Ce traumatisme est extrêmement violent, et sa maladie va se déclencher deux ans plus tard. On peut se demander si la maladie ne s'est pas déclenchée à ce moment-là. Et dans la vie de beaucoup de sclérodermiques, un événement déclenchant psychologique peut avoir joué un rôle. Mais c'est clair qu'il y a eu une coïncidence frappante entre 1933 viré de l'Allemagne et 1935 sclérodermique", note le Pr Jean Cabane, médecin interniste spécialiste de la sclérodermie.

La sclérodermie dont est atteint Paul Klee est une maladie dermatologique. Sa peau ainsi que ses organes durcissent progressivement, ses doigts se rigidifient et il a des difficultés pour respirer. Mais Paul Klee ne se laisse pas abattre, ce magicien de la couleur transforme sa douleur en énergie créatrice. Le chaud et le froid qu'il ressent dans sa chair caractéristique de la maladie se matérialisent dans ses toiles. "Dans la sclérodermie, on ressent beaucoup de froid. Les sclérodermiques se plaignent de froid, notamment aux mains. Paul Klee a beaucoup souffert de l'œsophage et de l'estomac et du rétrécissement de la bouche donc il était forcé de se faire des petites purées microscopiques pour s'alimenter quinze fois par jour de façon à descendre un peu de nourriture", souligne le Pr Cabane.

Et pour soigner les symptômes respiratoires, Paul Klee séjourne dans un sanatorium en Suisse sans réelle amélioration. Il essaie aussi toutes sortes de traitements à base de plantes comme la douce-amère : "Klee ne peint pas la plante, il ne peint que les petites baies rouges qui étaient créditées d'une certaine action sur les maladies rhumatismales comme celle dont il souffrait et qui ne faisaient rien sauf peut-être un peu des effets indésirables. C'est aussi le côté médicament doux-amer : le médicament peut être doux car il fait du bien mais il peut être amer car il fait du mal", note le Pr Cabane.

L'état de santé de Paul Klee décline, les moments de rémission deviennent rares. Certains voient d'ailleurs dans ses traits de pinceau de plus en plus épais, l'expression de sa maladie, de sa peau qui durcit comme l'explique le Pr Cabane : "La maladie touche tous les organes du corps, la peau et tout ce qu'il y a à l'intérieur. Et Paul Klee le sent". Comme une prémonition, Paul Klee s'éteint en 1940 suite à des problèmes cardiaques à l'âge de 60 ans. En médecine à cette époque, sa maladie n'est pas encore identifiée. Le terme de sclérodermie n'apparaîtra que quatorze ans après sa mort.

Y ALLER

La sclérodermie est une maladie auto-immune qui présente plusieurs formes : localisée à la peau (certaines cellules, les fibroblastes, synthétisent trop de collagène, ce qui provoque le durcissement de la peau) ; systémique, caractérisée par l'atteinte d'autres organes (cette forme peut être localisée ou diffuse) ; sans atteinte de la peau. Le degré de sévérité et la vitesse d'évolution sont très variables d'un patient à l'autre.