Refus de soins : dans les rues de Metz, un homme choque et relance le débat

La présence d'un homme à la jambe très gravement infectée, en plein centre ville de Metz, a fait réagir un médecin généraliste de passage dans la ville. L'immobilisme apparent des acteurs de soins et des autorités policières interrogent sur le droit de refuser les soins et les limites de cette liberté. Le refus de soins reste en effet un concept difficile entre droits du patient et devoir du soignant.

Héloïse Rambert
Rédigé le
La jambe gangrenée d'un homme dans les rues de Metz
La jambe gangrenée d'un homme dans les rues de Metz

La scène se déroule en ville, un jour de grande affluence. Sophie Siegrist, médecin généraliste, marche dans la rue quand elle voit un homme d'une soixantaine d'années, visiblement dans un état de très grande précarité, sur un fauteuil roulant. L'homme a une plaie au genou et une jambe qui suinte et semble très gravement surinfectée. L'autre jambe a été amputée. "Il y avait du pus et des insectes sur le membre, mais aussi à ses pieds, autour du fauteuil", rapporte le médecin.

Face à cette situation qu'elle juge grave, et choquante pour les passants, le Dr Sylvie Siegrist compose le 15 pour joindre le SAMU. Le SAMU la redirige vers les pompiers, qui ne tardent pas à arriver sur les lieux. Mais aucune décision n'est prise. "Les pompiers ont refusé de prendre en charge cette personne, et m'ont signalé, qu'ils étaient appelés, en moyenne, trois fois par jour à ce propos. Il s'agissait en effet de quelqu'un de connu des services de soins, qui avait été hospitalisé pendant l'hiver", déclare le médecin. Les pompiers ont justifié leur non-intervention simplement : l'homme refuse les soins. La police, qui faisait sa ronde à ce même moment, n'a pas agi non plus.

"Cet homme a aussi déclaré qu'il était sous tutelle", précise le Dr Siegrist. Que dit la loi ? Jusqu'où la liberté de refus de soin d'un patient peut-elle être respectée ? Peut-on hospitaliser quelqu'un sous la contrainte ? La mise sous tutelle prive-t-elle le patient de ce droit à décider pour lui-même ? Rappel du cadre législatif qui encadre ces questions.

Le refus de soins, droit inaliénable du patient

Le refus de soins, suite à une information complète par le médecin, est un droit inaliénable du patient. La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades, est tout à fait claire sur ce point. "Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse des investigations ou le traitement proposé, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences" dit le texte de loi. Seules deux exceptions existent à cette rège d'or.

L'exception de l'urgence et de l'absence de discernement

La première concerne les personnes hors d'état de manifester leur volonté. "Lorsque le patient n'est plus capable de discernement, et qu'il ne dispose plus des facultés qui lui permettent d'identifier ses propres intérêts, ou en cas d'urgence, les médecins peuvent agir sans l'obtention du consentement", explique Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace éthique AP-HP.

Ces "adaptations" de la loi soulèvent des questions délicates. Comment juger des capacités de compréhension de quelqu'un ? En général, dans les situations de crise, un médecin psychiatre se déplace pour évaluer la situation. Il existe d'ailleurs des intervenants spécialisés dans ces questions. "Des équipes mobiles psychiatrie-précarité sont présentes sur tout le territoire français. Elles peuvent être interpelées par toute personne qui verrait quelqu'un privé de ses capacités mentales", précise le Dr Alain Mercuel, chef de service en psychiatrie à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, et spécialiste des questions de précarité. La question à se poser serait plutôt : cette personne a-t-elle été, de fait, examinée par un psychiatre ? A-elle été jugée apte à prendre ses décisions ?

Car si ses facultés de compréhension ne sont pas altérées, l'argument de l'urgence, ne tient pas non plus. Car par "urgence", il faut entendre urgence vitale. Et la situation de cet homme ne relève pas, selon le Dr Mercuel, de ce cas de figure. "Concrètement, son état, bien que très mauvais, ne l'expose pas à un risque de décès dans les minutes qui suivent. Le rôle des acteurs, ici, est de rester en lien étroit avec cette personne, et de surveiller le moment où il perdra sa compétence à faire son choix ou l'apparition d'un risque vitale immédiat."

Le cas particulier de la mise sous tutelle

La deuxième exception concerne les personnes mises sous tutelle. "Chacun est libre de disposer de son corps. Cela concerne aussi les personnes sous tutelle", rappelle Danielle Mayeur, mandataire judiciaire à la protection des Majeurs, à Nancy. "Mais lorsqu'il y a refus de soins par le malade, alors même que ses capacités de discernement ne sont pas altérées, le tuteur a une possibilité de recours", explique-t-elle. Le tuteur doit discuter avec le malade, dans le but de le convaincre. "Mais en cas d'échec, il peut, avec l'appui d'un médecin, saisir le juge des tutelles. C'est alors au magistrat que revient la responsabilité de la décision de l'hospitalisation. S'il le juge nécessaire, il peut demander une hospitalisation d'office."

Au vu de la situation de cet homme, il est très peu probable qu'il ait été effectivement sous tutelle. "Le tuteur fait un rapport mensuel au juge des tutelles. Il serait aberrant que le juge des tutelles laisse cet homme dans un état aussi critique", déclare Danielle Mayeur.

Repris de justice ?

Il faut savoir que la loi prévoit que le préfet de police puisse décider d'une hospitalisation d'office. Cette hospitalisation intervient à l’encontre des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sureté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Dans cette situation, c’est l’autorité de police qui déclenche l'hospitalisation d'office, au vu d'un certificat médical établi par un médecin.

Pour le Dr Mercuel, le manque d'hygiène ne constitue en aucun cas un motif d'hospitalisation sous la contrainte. "Hospitaliser quelqu'un sous prétexte qu'il représente un risque sanitaire, non ! Nous ne forçons pas les malades de tuberculose ou les porteurs de VIH à se soigner, pourquoi le ferions-nous avec cet homme ?"

Et qu'en est-il de l'atteinte à l'ordre public ? La présence des forces de police sur les lieux, et l'échange qu'elles ont eu avec le médecin généraliste laissent penser que la situation ne rentre pas non plus dans ce cas de figure…

La "perversion du légalisme" ?

Quand un véhicule de pompier sort de la caserne, il est toujours en lien avec un médecin référent, qui assure une traçabilité des évènements et prend les décisions. Le médecin qui a coordonné les sorties d'intervention pour cette personne a peut-être eu une vision très légaliste des choses. Tout le problème dans cette situation réside dans la lutte entre le légal d'un côté, et la déontologie et la morale de l'autre.

"Se pose toutefois la question de la dignité humaine et de la décence. Peut-on ainsi laisser une personne vivre en pleine rue en présentant une plaie purulente sans que la moindre décision ne soit prise ? Comme pour d'autre questions relevant de l'hygiène publique, le légalisme semble avoir ses limites, au point de donner le sentiment de négliger certaines personnes adandonnées à leur extrême vulnérabilité. Cette situation qui n'est pas si rare qu'on le pense, justifie probablement des clarifications officielles" déclare Emmanuel Hirsh.

Pour Alain mercuel, "tout malade hospitalisé sous la contrainte peut demander à voir un juge des libertés, qui, lui, peut se prononcer pour une hospitalisation abusive. La morale ne peut passer au dessus de la loi."

La situation soulève débats et passions. Et aussi choquante qu'elle soit, reste en l'état.

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