Le suicide en France vu par un expert des enquêtes de santé

A l’occasion de la publication, le 13 décembre 2011, du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) dont il est l’un des auteurs, François Beck a souhaité s’exprimer sur notre site Bonjour-docteur. Pour nous, il dresse un état des lieux du suicide en France.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Le suicide en France vu par un expert des enquêtes de santé

François Beck est sociologue, responsable du département « Observation et analyse des comportements de santé », à l’Institut National de Prévention et d'Education pour la Santé (INPES).

La France se situe parmi les pays européens à forte mortalité par suicide. Le nombre de suicides et de tentatives de suicides y est préoccupant, avec plus de 200 000 personnes qui, chaque année, font une tentative de suicide, ces tentatives donnant lieu à 90 000 hospitalisations et 10 500 décès. Avec le Baromètre santé, enquête quinquennale menée auprès de plus de 27 000 personnes en 2010, l’INPES dispose de chiffres précis sur les tentatives de suicide et pensées suicidaires à l’échelle de la population.

Issue moins fatale pour les femmes

Ainsi 3 hommes sur 1000 et 7 femmes sur 1000 ont effectué une tentative de suicide au cours de l’année. L’enquête pointe aussi la survenue, plus fréquente, d’idées suicidaires au cours de l’année qui concerne 3,4% des hommes et 4,4% des femmes. Hommes et femmes présentent ainsi des formes différentes d’expressions de la souffrance psychique. Les femmes ont plus de pensées suicidaires et effectuent plus de tentatives de suicides, mais l’issue est moins souvent fatale que pour les hommes qui représentent les trois-quarts des décès par suicide. Cette différence s’explique en partie par les moyens utilisés qui sont plus souvent la prise de médicaments pour les femmes et l’utilisation d’armes à feu ou la pendaison pour les hommes.

En plus de la dépression, facteur non pris en compte dans le modèle mais déjà largement connu, les facteurs de risque des tentatives de suicide et pensées suicidaires mis en évidence dans l’étude sont avant tout les violences subies y compris les violences sexuelles, et ce même quand elles sont survenues il y a longtemps. L’isolement social et la précarité sociale apparaissent aussi comme des facteurs de risque importants. Le Baromètre santé de l’INPES fournit des données de cadrage au niveau populationnel mais ne permet pas d’expliquer le détail des mécanismes d’un phénomène aussi complexe que le suicide.

Prévention et postvention

Face à ces situations dramatiques, que peut-on proposer ? Au-delà du fait que chaque individu présente une trajectoire de vie qui lui est propre et qui peut nécessiter une attention singulière, un certain nombre d’interventions efficaces peuvent être relevées dans la littérature internationale, qu’elles relèvent de la prévention ou de la postvention (i.e. lorsque l'intervention se situe après l'événement : soutien aux personnes et aux organisations confrontées au suicide).

Il s’agit notamment de la restriction de l’accès aux moyens létaux (sécurisation des lieux ou la réduction de l’utilisation des produits dangereux utilisés pour le passage à l’acte), du maintien du contact avec les patients sortis de l’hôpital suite à une tentative de suicide et de la mise en place de centre d’appels et d’urgence. Il serait utile que les professionnels, notamment ceux du soin et de l’action sociale ou encore ceux travaillant en milieu carcéral, au contact des enfants et adolescents puissent suivre une formation au repérage de la souffrance psychique et de la crise suicidaire.

En ce qui concerne les personnes en souffrance psychique, des mesures de prévention telles que la lutte contre l’isolement social, le développement des dispositifs d’aide à distance sont efficaces. L’intégration sociale est un puissant facteur de protection (en particulier, le fait d’avoir un conjoint et surtout des enfants réduit significativement le risque suicidaire). La prise en charge thérapeutique est également un facteur de protection.

Les actions de l'INPES

Une attention particulière doit être portée à certaines populations les plus vulnérables au risque suicidaire, comme les jeunes (pour qui le suicide est la première cause de décès), les personnes âgées, en particulier lorsqu’elles souffrent d’isolement, les personnes ayant une orientation homosexuelle ou bisexuelle, les proches de victimes de suicides ou encore les personnes ayant déjà effectué une tentative de suicide.

L'INPES participe également au développement d’actions qui se situent en amont de la survenue d'un mal être. Des actions sont conduites pour favoriser le développement des compétences psychosociales des enfants (avec notamment des actions de soutien à la parentalité) et lutter contre l'isolement social (surtout des personnes âgées, dans le cadre du programme « bien vieillir »). Par ailleurs, l’INPES mène d’autres actions, notamment de lutte contre l’homophobie, important facteur de risque suicidaire pour les personnes qui en sont victimes, ou encore d’information sur la dépression avec un site Internet et un guide de référence.

Ce numéro spécial du Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (BEH) permet d’œuvrer à l’amélioration de la qualité des données et le suivi des suicides et tentatives de suicides en population générale comme au sein de populations spécifiques (en milieu carcéral, dans le contexte professionnel…).

 

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