Une IST bientôt multirésistante aux traitements ?

L’infection sexuellement transmissible par le mycoplasme M. genitalium gagne du terrain. La prolifération de souches résistantes aux antibiotiques inquiète un nombre croissant de chercheurs et de médecins.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Près d'un homme sur dix et la moitié des femmes infectées ne présentent aucun symptôme
Près d'un homme sur dix et la moitié des femmes infectées ne présentent aucun symptôme

Connaissez vous Mycoplasma genitalium ? Repérée par les scientifiques en 1981, son nom est encore méconnu du grand public. Mais cette IST, qui concernerait aujourd’hui 1% des adultes sexuellement actifs dans les pays occidentaux, commence à inquiéter sérieusement les spécialistes.

Une infection aux conséquences potentiellement graves

Chez les femmes, une infection à M. genitalium entraîne des symptômes infectieux dans 45% des cas, avec des inflammations pouvant toucher le col de l’utérus (cervicite), l’utérus ou les trompes de Fallope, avec douleurs, fièvres et saignements. Selon une synthèse d’étude publiée en 2015, l’infection à M. genitalium accroit le risque de naissances prématurées et de fausses couches, et est suspectée d’augmenter le risque d’infertilité.

Chez les hommes, les symptômes infectieux (5% des porteurs) prennent la forme d’une inflammation de l’urètre (urétrites), pouvant entraîner des écoulements douloureux du pénis. Selon les estimations, hors infections par les chlamydias, de 5% à 40% des urétrites seraient provoquées par ce mycoplasme.

Voir également : Comment savoir si une infection vaginale est liée à une IST ?

En une décennie, la propagation inquiétante des souches multirésistantes

Depuis quelques années, dans les pays occidentaux, gynécologues et urologues observent un phénomène préoccupant : les deux traitements antibiotiques de première intention, l’azithromycine et la moxifloxacine, s’avèrent inefficaces dans un nombre croissant d’infections à cette bactérie.

Selon des travaux menés en Australie et au Japon en 2017 et 2018 chez des patients atteints d’urétrite, près de 13% des M. genitalium présentent des mutations les rendant insensibles aux deux traitements [1]. Or, selon un récent éditorial du British Medical Journal, "pour les patients qui ne répondent pas aux traitements de première et de deuxième intention", les alternatives "sont limitées", et guère efficaces. La doxycycline, par exemple, n’éliminerait les M. genitalium que dans 30% des cas.

Vers une évolution des recommandations ?

L'une des causes de cette situation pourrait être à chercher dans les stratégies de prise en charge qui ont été préconisées jusqu'à présent.

"Les recommandations européennes de 2016 invitent à un dépistage systématique de M. genitalium chez les populations à risque (personnes prostituées, hommes ayant des relations sexuelles multiples avec des partenaires masculins…), ainsi que dans les cas d'urétrites", nous explique le Dr Charles Cazanave, infectiologue au CHU de Bordeaux. "Aujourd'hui, nous rencontrons beaucoup de patients qui ont été traités, et parfois mal traités, pour ce type d’infections. Ceux-ci ont parfois reçu des traitements antibiotiques sur une journée seulement (comme pour le chlamydia), ce qui est insuffisant et va être pourvoyeur de résistances (les recommandations sont de plutôt traiter sur cinq jours). Des résistances ont effectivement émergé, entraînant une espèce d’escalade dans le recours aux antibiotiques."

Cet été, l’Association britannique pour la santé sexuelle (BASHH) a recommandé que les tests diagnostiques ne soient utilisés de façon systématique que chez les patients présentant des symptômes évocateurs. Elle décourage en revanche le dépistage chez les personnes sans symptômes, même dans les populations à risque. Le traitement de ce mycoplasme chez des personnes qui n’ont pas développé d’inflammation est explicitement jugé "inutile", "souvent peu efficace", "source de stress", et comme participant au développement d'antibiorésistance.

"De même", nous précise le Dr Cazanave, "dans le cas d’une urétrite, il s’agirait de chercher en première intention le gonocoque ou le chlamydia, et de ne chercher M. genitalium que si l’urétrite est traînante, ou récidivante." Selon lui, les préconisations du BASHH "vont dans le bon sens", et méritent d'être promues. "En France, les recommandations officielles sur le sujet remontent à environ dix ans, alors que M. genitalium n'était pas du tout considérée comme préoccupante".

la rédaction d'Allodocteurs.fr

Sources :

  • P. Sonnenberg et al. "Epidemiology of Mycoplasma genitalium in British 
men and women aged 16–44 years: evidence from the third National Survey of Sexual Attitudes and Lifestyles (Natsal-3)". Int J Epidemiol, 2015 ; n°44, pp.1982-94. doi:10.1093/ije/dyv194

  • S. Pereyre et al. "Mycoplasma genitalium and Trichomonas vaginalis in France: a point prevalence study in people screened for sexually transmitted diseases". Clinical Microbiology and Infection, vol. 23-2, février 2017. doi:10.1016/j.cmi.2016.10.028
  • M.R. Golden et al. "Developing a Public Health Response to Mycoplasma genitalium" J Infect Dis. 15 juillet 2017 ; n°216, pp. 420-426. doi: 10.1093/infdis/jix200
  • R. Manaquin et al. "Infections sexuellement transmissibles chez la femme à La Réunion, place de Mycoplasma genitalium", Bulletin de veille sanitaire thématique IST & VIH Réunion et Mayotte, août 2017, n°35
  • G. Hughes & J. Saunders, "Mycoplasma genitalium: the next sexually transmitted superbug?" BMJ, octobre 2018 ; n°363. doi:10.1136/bmj.k4376


[1] Il y a dix ans, au Japon, les résistances à l’azithromycine et à la moxifloxacine ne concernaient respectivement que 5% et 22% des M. genitalium, chiffres qui dépassent désormais les 42% et les 53%. Selon une méta-analyse publiée en 2015, l’efficacité d’une dose unique de 1 g d’azithromycine est passée de 85% dans les années 2000 à 67% au milieu de l’actuelle décennie. En Australie, la résistance à l’azithromycine pourrait concerner plus de 60% des M. genitalium chez les patients symptomatiques.