Le clitoris, histoire d’une omerta

Le clitoris est réapparu dans un manuel scolaire cette rentrée pour les collégiens et les lycéens. Or il avait complètement été effacé des ouvrages scientifiques depuis un siècle. Pourquoi cette censure ? Réponse avec Jean-Claude Piquard, sexologue.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Le clitoris, histoire d’une omerta
Clitoris disséqué par Georg Ludwig Kobelt, publié en allemand en 1844
1834 Blandin - esquise des bulbes vestibulaires
1834 Blandin - esquise des bulbes vestibulaires
1949 Dickinson - clitoris et ses rapports avec le pubis
1949 Dickinson - clitoris et ses rapports avec le pubis
  • Allodocteurs.fr : Depuis quand connaît-ton exactement l’anatomie du clitoris ?

Jean-Claude Piquard, sexologue et auteur du livre Le fabuleux destin du clitoris : "La première représentation complète du clitoris avec le gland, le corps et les piliers, date de 1558. C’est le début de l’anatomie écrite et transmise. A cette époque, la fonction érogène du clitoris était clairement identifiée. En 1850, l'anatomiste Kobelt a dessiné le clitoris tel qu’on le connaît actuellement avec le bulbe vestibulaire, les piliers et le corps du clitoris, le gland et le capuchon. C’est en recherchant l’irrigation nerveuse que Kobelt a suivi le nerf dorsal qui conduit au gland du clitoris. Ce nerf est d’ailleurs plus gros que celui du pénis. Après cette découverte, les traités d’anatomie comportaient environ quatre pages sur le clitoris."

  • Comment expliquer l’omerta qui a suivi dans la médecine sexuelle ?

Jean-Claude Piquard, sexologue et auteur du livre Le fabuleux destin du clitoris: "Jusqu’à la fin du 19ème siècle, l’église recommandait l’usage du clitoris. Car la médecine a longtemps pensé, en référence à Hippocrate, que le clitoris permettait d’émettre une semence et qu'il jouait donc un rôle dans la reproduction. En effet la théorie des humeurs voulait que la femme délivre une semence lors de l’orgasme, qui était reconnu comme clitoridien selon tous les textes médicaux de l’époque. Les médecins pensaient que les deux semences formaient l’embryon. Or, cette théorie va être balayée en 1880 lorsqu’on s’aperçoit que l’ovule est en faite produite lors du cycle menstruel. Le clitoris apparaît alors aux yeux de l’Eglise comme un instrument de masturbation de couple qui peut servir de contraception, n’ayant plus aucune fonction dans le processus de procréation. C’est le fondement du mouvement nataliste qui bannit toutes les méthodes qui peuvent empêcher la reproduction. Idéologie encore très présente chez les protestants aux Etats-Unis de même que chez les catholiques. L’omerta atteint son point culminant en 1960. Il y a eu à cette époque un véritable recul des connaissances que l’on détenait sur le sujet. Le clitoris ne faisait alors l’objet que de quatre lignes dans les traités anatomiques et avait complètement disparu des dictionnaires. Dans les années 80, les catholiques intégristes ont réussi à le faire supprimer des manuels scolaires. Il faudra attendre 1998, date à laquelle le docteur en urologie Helen O’Conell a eu l’audace de briser le tabou sur le clitoris."

   
1962 Rouvière - Le clitoris reste présent et étiqueté.


A lire aussi : Anatomie complète du clitoris dans un manuel scolaire

  • Est-ce que l’apparition de la psychanalyse a quelque chose à voir avec cette censure de l’anatomie féminine ?

Jean-Claude Piquard, sexologue et auteur du livre Le fabuleux destin du clitoris: "La psychanalyse repose sur une nouvelle théorie du psychisme apparu à la fin du 19ème siècle et fondée sur l’idée d’un inconscient dominé par la pulsion sexuelle. C’est Sigmund Freud qui l’a conceptualisé en 1896. Selon lui, la petite fille connaît le clitoris et découvrira le vagin à la puberté. Si elle continue à utiliser le clitoris à l’âge adulte, la femme reste dans l’enfance d'après la théorie freudienne. D’ailleurs, le concept de l’orgasme vaginal n’existe dans aucun texte, il n’y a que Freud qui l’a exposé. Lorsqu’il y a pénétration, un « orgasme vaginal » est en fait un orgasme clitoridien. Le bulbe vestibulaire du clitoris est alors en contact avec le vagin. L’orgasme est donc essentiellement clitoridien. Le processus vaginal est quant à lui un long plaisir donc par essence il ne peut pas être orgasmique. La pensée freudienne est en quelque sorte un déni du corps au profit de la psyché. L’héritage culturel de Freud est tel, que l’évolution vers une autre théorie sexuelle sera longue. Et pourtant, le gland du clitoris est la plus grande concentration nerveuse de l’espèce humaine."


1962, Rouvière

Toutes les illustrations de cet article sont extraites du livre de Jean-Claude Piquard, "La fabuleuse histoire du clitoris", édition H&O au féminin.