Les relations sexuelles entre médecins et patients désormais interdites

Elles s'apparentent à des "abus de faiblesse", selon le Conseil national de l’Ordre des médecins, qui a inscrit cet interdit dans le Code de déontologie médicale.

Maud Le Rest
Rédigé le
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image d'illustration -  —  © photo Vadimguzhva/iStock

"Un patient n'est pas un simple adulte libre de ses choix. La relation thérapeutique crée une vulnérabilité bien connue appelée amour de transfert", expliquaient les signataires d’une tribune publiée sur franceinfo.fr il y a un an. A l’époque, ceux-ci lançaient une pétition pour réclamer l’ajout d'un nouvel article au Code de déontologie médicale, qui stipulerait que "le médecin doit s'interdire toute relation sexuelle avec les patients dont il a la charge". C’est désormais chose faite : le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) vient d’ajouter au Code de déontologie un paragraphe proscrivant tout rapport intime entre praticiens et patients.

"Un abus de faiblesse"

"Le médecin ne doit pas abuser de sa position, notamment du fait du caractère asymétrique de la relation médicale, de la vulnérabilité potentielle du patient, et doit s'abstenir de tout comportement ambigu, en particulier à connotation sexuelle (relation intime, parole, geste, attitude, familiarité inadaptée…)", peut-on maintenant lire en commentaire de l'article 2 du Code de déontologie médicale, intitulé "Respect de la vie et de la dignité de la personne". Aussi, pour le Cnom, une relation sexuelle médecin-patient est-elle désormais considérée comme "un abus de faiblesse". Le Conseil a même annoncé le lancement prochain d’une page d’aide aux patients victimes de viols et d’agressions sexuelles sur son site.

"Ce commentaire est désormais clair et sans ambiguïté [et] met fin aux prétendues « relations banales entre adultes consentants » régulièrement invoquées par les médecins abuseurs et leurs avocats" a réagi sur son site Internet le Dr Dominique Dupagne, à l’origine de la pétition. Quand celle-ci était parue, en avril 2018, l’objectif était de combler le flou juridique qui existait alors autour de ce sujet. "En cas de poursuites, les médecins abuseurs [s’en servent] dans leur défense pour échapper aux sanctions, et les plaintes des victimes déposées auprès des conseils départementaux de l’Ordre des médecins aboutissent trop souvent à des relaxes, à des sanctions symboliques voire à la culpabilisation des patients (qui sont dans leur grande majorité des patientes) !" déclaraient ses auteurs, dont le président de la Fédération des médecins de France Jean-Paul Hamon, la pneumologue et lanceuse d’alerte Irène Frachon, la psychiatre Muriel Salmona ou le médecin généraliste et romancier Baptiste Beaulieu. 

Ceux-ci expliquaient ainsi que les victimes de viols ou d’agressions sexuelles commises par des praticiens étaient doublement condamnées, "à la fois par la toxicité d’une relation dont les mécanismes s’apparentent à ceux de l’inceste, et par le déni de justice qui leur fait porter à tort une responsabilité dans cette relation, alors qu’il s’agit d’un abus de faiblesse aggravé par un abus d’autorité".

"C'est toujours la responsabilité de l’analysée qui est soulignée"

Une expérience qu’une internaute, sur le forum d’Atoute.org, le site du Dr Dominique Dupagne, relate avec douleur. Pour cette femme, qui a été victime d’agressions sexuelles de la part d'un "psychiatre-psychanalyste", "c'est toujours la responsabilité de l’analysée qui est ironiquement (voire méchamment) soulignée. Ou bien alors : « Y’a qu’à faire un procès »... et « y’a qu’à aller se plaindre ailleurs »". Mais lorsque celle-ci a effectivement décidé de se plaindre auprès de la société de psychanalyse responsable du médecin agresseur, on ne l'a pas prise au sérieux. "Les psychanalystes ont fait comme si ce que je racontais n’avait aucun rapport avec leur éthique officielle : c’était encore la vie privée de chacun !... Ou bien alors c’était « mon problème inconscient », mon « rapport personnel à l’autorité », ou encore « mon fantasme délirant », etc." Finalement, la patiente a été envoyée devant le Cnom, qui a "fait semblant d’ignorer sa plainte, [affirmant] qu’il y avait une « éthique psychanalytique spécifique »".

Désormais cependant, en cas de poursuite, les victimes pourront s’appuyer sur le Code de déontologie médicale pour tenter d’obtenir gain de cause. Car le commentaire ajouté à l’article 2, "s’il n’a pas de valeur juridique, influence néanmoins fortement les décisions disciplinaires des cours régionales" note le Dr Dupagne. Une bonne nouvelle, quand on sait qu’à l’époque de la pétition du Dr Dupagne, le Cnom s’était opposé à une telle interdiction. Pour le Conseil, l’ajout d’un tel article représentait en effet une violation de la vie privée des praticiens…