En France, 2 femmes sur 100 subissent des violences pendant leur grossesse

Alors que la société s’empare de la question des violences faites aux femmes, une enquête s’est intéressée pour la première fois à la fréquence des violences sur les femmes enceintes.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
En France, 2 femmes sur 100 subissent des violences pendant leur grossesse

Les violences faites aux femmes ne connaissent pas de trêves. Même pendant les 9 mois de la grossesse. C’est la conclusion à laquelle est arrivée une équipe réunissant des chercheurs de l’Inserm et de l’Université de Paris au sein du Cress (Centre de recherche en épidémiologie et statistiques). Pour la première en fois, ces scientifiques ont enquêté à l’échelle nationale sur la fréquence des abus physiques sur les femmes enceintes.

Publiés dans la revue Maternal and Child Health Journal, leurs résultats estiment qu’1,8 % d’entre elles en sont alors victimes. Les chercheurs se sont aussi penchés sur les conséquences de telles violences sur la mère et l’enfant et ont mis en évidences des effets - physiques et psychologiques - sur la santé des mères et des nouveaux-nés.

Ces résultats ont été recueillis dans le cadre de l’Enquête nationale périnatale, réalisée en 2016 par un questionnaire auprès de 12 330 femmes dans des maternités publiques ou privées en France.

Un chiffre probablement sous-estimé

Mais pour Marie Josèphe Saurel-Cubizolles, épidémiologiste, chercheuse Inserm au sein de l’équipe EPOPé U1153 qui a coordonné l'étude, ce chiffre de 1,8 % est en-deçà de la réalité. Et ce pour deux raisons. "Les femmes ont certainement sous-déclaré, comme elles le font pour les violences en général. Elles n’osent pas se dire victimes, elles se sentent coupables. De plus, nous étions là un contexte émotionnel très spécial : elles venaient d’accoucher, peut-être ont-elles eu encore plus de peurs et de réticences."

L'autre cause de sous-évalutation viendrait des limites méthodologiques de l’enquête. "Toutes les femmes n’ont pas été touchées par l’étude, explique l'épidémiologiste. Certaines sortent très tôt de la maternité, d’autres ne parlent pas du tout la langue française… Et certains éléments de nos résultats laissent penser que ces femmes-là sont peut-être encore plus concernées par le problème que celles qui répondent."

La grossesse, propice au déclenchement des violences

Les femmes enceintes subissent-elles plus de violences que les autres femmes? Difficile de l’affirmer pour Marie Josèphe Saurel-Cubizolles. "Les femmes enceintes sont des femmes comme les autres et sont victimes de violences pendant leur grossesse comme à d’autres périodes de la vie. Il est difficile de dire avec certitude que les violences sont beaucoup plus fréquentes pendant ces 9 mois. En revanche, la littérature scientifique montre que la grossesse peut être, dans certains cas, un moment où les phénomènes violents se déclenchent dans les couples."

Les femmes vivant seules, plus à risques

L’enquête dégage également des facteurs de risques dans la vie des femmes. Celles qui ne sont pas en couple cohabitant ou celles sans partenaire sont plus nombreuses à être victimes. Si les données sur l’auteur des violences n'ont pas pu être recueillies par ce questionnaire, de précédents travaux ont montré qu’il s’agissait du père dans l’écrasante majorité des cas. "Les données de l’OMS et d’enquêtes moins représentatives en termes de territoire, ont révélé qu’environ de 90% des victimes de violences pendant la grossesse le sont de la part d’un compagnon ou d’un ex-compagnon", rapporte l’épidémiologiste.

"La séparation est un moment où les violences sont fréquentes. Si le couple se sépare après une annonce de grossesse, et si l’enfant n’était pas attendu, la situation est rendue particulièrement sensible", ajoute-t-elle.

L’importance du facteur socio-économique

Contrairement aux violences conjugales qui concernent toutes les strates de la société, les violences sur les femmes enceintes sont fortement liées aux revenus du ménage. "Avec ces résultats, nous montrons de grandes inégalités sociales. Les femmes qui vivent dans des ménages où il n’y a pas beaucoup d’argent subissent plus de violences physiques pendant leur grossesse, indique Marie Josèphe Saurel-Cubizolles. Elles ont moins de "marge de manœuvre" pour se soustraire  à une grossesse non désirée et à une situation violente. Il faut garder en tête que toutes les femmes répondantes ont mené à terme leur grossesse. Je pense que les conditions socio-économique, pour l’accès à l’IVG notamment, sont tout à fait déterminantes", avance la chercheuse.

Des conséquences pour la mère et l’enfant

Les conséquences des violences peuvent être très néfastes pour la santé des femmes enceintes et celle de l’enfant à naître. 62 % des femmes ayant subi des abus physiques ont affirmé avoir été en situation de détresse psychologique pendant la grossesse, contre 24 % pour les autres femmes. En ce qui concerne le nouveau-né, ces violences sont associées à un risque plus élevé de naissance prématurée ou encore de transfert de l’enfant dans une unité de soins intensifs.

Une meilleure connaissance des facteurs associés aux situations de violences et la mise en évidence des complications pour la mère et pour l’enfant devraient aider les professionnels de santé à développer des stratégies préventives ou de protection et les conduire à évoquer cette question lors des consultations anténatales.